Ode à la plieuse de parachutes.


Dans presque toutes les armées du monde un parachute utilisé est un parachute perdu. Peut-être pas pour tous, car il est de séduisantes pochettes, des mouchoirs, parfois même de lingerie, qui….
Dans l’armée française, il en est autrement. Presque toujours, après une opération de parachutage, une seconde opération est montée afin de récupérer les pépins soyeux. Ils sont alors nettoyés, vérifiés, réparés et pliés à nouveau ; du moins en était-il ainsi en Extrême-Orient et en Algérie, et ce minutieux et difficile travail était effectué par les « petites mains » de l’armée : les plieuses et les réparatrices de parachutes.
Difficile et redoutable spécialité en raison du poids de la responsabilité et des conditions pénibles dans lesquelles on travaillait. Au bout de ce parachute, il y aurait un jour la vie d’un homme ! Les dimensions de ce matériel encombrant nécessitaient une manipulation en de vastes hangars aux toits de tôle surchauffée, autour de longues tables de 6 à 8 mètres, ce qui faisait pour des pieds bien fatigués bien des kilomètres à couvrir.
Celles qui s’engageaient sans diplôme ou qualification particulière, à part une bonne santé, une bonne volonté évidente et une conscience professionnelle souhaitée, recevaient une affectation auprès des troupes aéroportées ou dépendant du matériel. Métier, harassant, peu spectaculaire et souvent minimisé.
Or, les plieuses, qui connaissaient les conséquences de vie ou de mort liées à leurs fonctions, éprouvaient en plus de la fatigue une grande tension nerveuse, avec cette constante interrogation : « ne me sui-je pas trompée ? »  et l’affreuse vision d’un homme en chute libre avec un parachute en vrille au lieu de s’ouvrir en corolle. Comment s’étonner alors des traits fatigués ou de la nervosité de certaine ayant plié, plié, plié, en veillant à ne pas commettre d’erreur, ou du grand besoin de distraction des autres ! On oublie souvent, ou on l’ignore, car elles n’ont pas été épargnées par la critique, que les plieuses à Hanoi logeaient en cantonnement sis au premier étage de la communauté religieuse des sœurs de la sagesse !
La plieuse que j’évoque avait déjà fait un séjour dans le nord indochinois. Proche, alors, de ceux qui sautaient. Certains avaient fait sa connaissance : rares cependant ceux qui venaient après le saut, lui dire merci.
Revenue en fin de contrat en France, elle était repartie quatre mois plus tard, s’engageant à nouveau dans cette aventure si lourde et si riche de responsabilités. Retournant vers ses pliages, ses parachutes, les parachutistes et ses sœurs d’armes rivées au même rude métier. Elle espérait rejoindre cette ville du nord, si belle, avec ses larges avenues, ses lacs et sa petite pagode au milieu de l’un d’eux.
Mais elle fut maintenue en la capitale du sud, chef moral incontesté de toutes celles qui arrivaient, « sans spécialités », ainsi que l’on disait du temps de monsieur de COLBERT ; aussi en plus de son travail, de ses problèmes personnels et familiaux, des visites qu’elle allait faire le soir dans les hôpitaux, ce fut une véritable mission que cette courageuse se mit à exercer auprès de ses camarades désemparées, méritantes et sous-estimées qui se trouvaient souvent en d’impossibles situations sentimentales, surtout si un soir en ville, elles avaient croisé un béret vert, ou rouge, ou bleu. Ce des gens qui connaissent le baratin…
Alors, au long des journées et des mois, elle demeura disponible à toutes, écoutant, répondant, conseillant, réconfortant, pleurant ou riant selon les circonstances ; toujours prête à être abordée d’un : « alors voilà, tu comprends, je t’avais dit que… » qui inaugurait obligatoirement un épisode supplémentaire dans d’inextricables aventures.
Ayant, de par son enseignement du pliage et sa force morale, conservé et préservé combien de vies d’hommes, avec ce que cela impliquait pour tous ceux et celles pour qui ces hommes-là étaient tout : épouses, fiancées, parents, enfants elle fut encore bien davantage sauveteur de filles, confidente et amie. Oui, elle était plieuse de parachutes, elle n’était que cela. Mais c’était un grand bonhomme…
Article parut dans le magazine de la médaille militaire de septembre 2010.

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