27 mai 1995: l'assaut du pont de Verbania


En ce 29 mai, journée internationale des casques bleus, voici un article extrait du Figaro, du 27 mai 2006, relatant l’assaut du pont de Verbania. Ce fait d’armes, des casques bleus Français, fait partie de ces moments qui restent dans l'histoire par leur charge symbolique. Le 27 mai 1995, des soldats français avaient repris aux forces serbes un de leurs postes, capturé la veille avec 14 otages.
LE PONT de Verbania est une «clé» de Sarajevo. Situé à l'angle nord-est de Gorbavica, le grand quartier serbe qui forme une encoche dans la capitale, il ouvre sur la vieille ville, la présidence et les principaux bâtiments publics bosniaques. Voilà pourquoi il a été le théâtre d'affrontements parmi les plus violents qu'ait connus la Bosnie. Et pourquoi les Casques bleus français y ont installé, sur la berge sud de la Miliacka, un poste tenu par une dizaine d'hommes.
 
«Sierra Victor» ne répond plus
 
Il est 4 h 50, en ce dimanche 27 mai 1995. Le contrôle radio effectué depuis le PC de la 1ère compagnie du 3ème RIMa demeure sans réponse. Depuis deux jours, le capitaine François LECOINTRE a donné pour consigne à ses postes de se signaler toutes les heures. Les temps sont à l'orage. En représailles à un bombardement effectué près de Pale, la «capitale» des Serbes de Bosnie, ces derniers se sont livrés à une série de prises d'otages. On se souvient de ces images de Casques bleus, placés dans des situations impossibles, se rendant à des miliciens dépenaillés, drapeau blanc à la main.

En cette aube printanière, l'officier décide d'aller lui-même voir ce qui se passe. Aux alentours de «Sierra Victor», rien d'anormal. A l'extérieur, le site a l'allure d'un gros bunker recouvert de sacs de sable. A l'intérieur, c'est un dédale de boyaux et de sombres recoins. Au moment où il franchit la porte Est, le capitaine LECOINTRE espère trouver un opérateur radio assoupi. Dans la pénombre, il tombe bien sur un homme en casque bleu et gilet pare-balles ONU. Mais c'est un Serbe qui lui pointe son fusil sur la poitrine, lui ordonne de lui donner son arme et lui annonce qu'il est désormais otage. L'officier ne se démonte pas. Il répond qu'il n'en est pas question, qu'il va rendre compte à ses chefs et tourne les talons... Le Serbe le poursuit mais tombe sur le dissuasif fusil Famas du sergent TAUPAKA. Le costaud Wallisien bloque le canon sous le maxillaire du milicien. Les deux Français peuvent repartir.
 
Retour à la Skenderija, l'ancienne patinoire des JO de 1984, où s'est installé le BATINF 4, au cœur de Sarajevo. Un autre bataillon est basé à l'aéroport. Il est 5 h 45 et le capitaine LECOINTRE rend compte au colonel SANDAHL, qui commence immédiatement à échafauder un plan de reconquête. Par téléphone, le colonel informe le général Hervé GOBILLIARD, qui commande le secteur de Sarajevo dans le cadre de la FORPRONU. En un quart d'heure, le général prend la décision de donner l'assaut. De sa propre initiative, sans en référer à l'ONU. Cet acte offensif sort du mandat donné aux Casques bleus et, de toute manière, la lourdeur de la chaîne de commandement risquerait de tout compromettre. Qui sait, d'ailleurs, si des officiers russes présents dans l'état-major de l'ONU n'auraient pas été tentés de prévenir leurs amis serbes ?
 
Le général doit aussi se passer du feu vert de Paris. «Deux éléments ont guidé ma décision, se souvient le général GOBILLIARD. D'abord, une conversation, la veille, avec l'état-major des armées m'avait informé de l'état d'esprit du nouveau président de la République. Jacques CHIRAC était ulcéré par les prises d'otages et estimait que la coupe était pleine, que le temps de l'humiliation était terminé. Ensuite, si l'on voulait agir, il fallait le faire immédiatement, avant que les Serbes ne se renforcent.»
 
A 6 h 45, le général valide le plan du colonel SANDAHL. Il est classique : infiltration d'un élément d'infanterie jusqu'à sa base d'assaut, appui avec des éléments blindés. La difficulté tient à la topographie et à l'imbrication des forces en présence. Le poste de Verbania est situé au bas d'une ligne de crête qui descend du cimetière juif jusqu'au pont. De part et d'autre, les forces bosniaques et serbes. Les premières tiennent un gros immeuble cubique, Union Invest. En face, les tireurs serbes sont postés dans deux immeubles de sept ou huit étages, baptisés Prisunic et Central.
 
La section du lieutenant HELUIN, les «Forbans», est choisie pour mener l'attaque. Relevée la veille après avoir passé dix jours dans le poste de Verbania, elle connaît parfaitement les lieux. A 8 heures, la trentaine d'hommes se met en branle à bord de VAB. Surpris, les combattants bosniaques regardent les soldats français, qui ont laissé leurs véhicules au cimetière nord, s'infiltrer à pied à travers leurs lignes. A 8 h 45, les hommes menés par le lieutenant HELUIN et le capitaine LECOINTRE sont en position d'attaque, tapis dans un fossé d'écoulement des eaux. Les éléments d'appui sont prêts : des blindés Sagaie, équipés de canons de 90 mm, et des VAB équipés de canons de 20 mm.
 
Le capitaine LECOINTRE donne l'ordre de monter à l'assaut. Un premier groupe bondit hors de la tranchée, pour être aussitôt pris à partie par les Serbes. Des tirs violents de tous calibres les clouent au sol. Les Serbes disposent notamment de trois mitrailleuses de 14,5 mm, postées dans les immeubles Central et Prisunic. Cinq Français sont touchés, dont trois gravement. Le colonel SANDAHL déclenche les tirs d'appui au canon. En se décalant d'une vingtaine de mètres, le lieutenant HELUIN s'élance à son tour à découvert. «En théorie, il aurait fallu monter à l'assaut en ligne, raconte-t-il, mais l'exiguïté du layon nous a obligés à foncer les uns derrière les autres.» Le capitaine LECOINTRE suit avec son radio. Les tirs serbes, y compris de mortier, redoublent. «On a riposté tout en fonçant, raconte le caporal-chef Olivier LAUNAY, tireur « Minimi » (mitrailleuse légère de 5,56 mm conçue par la firme HERSTAL en Belgique), tout va très vite. C'était noir devant moi, je ne pensais plus à rien, ni à ma famille, ni à la peur qui avait précédé» . Un nouveau bond, et HELUIN pénètre dans le poste suivi de ses hommes. Les Serbes refluent vers la «zone vie», laissant un mort derrière eux. Il faut alors progresser mètre par mètre dans le réduit.
 
Alors qu'il se place sur le toit pour couvrir le bond suivant, le marsouin HUMBLOT est tué par une balle d'un tireur embusqué. Un autre marsouin, AMARU, qui appuyait l'attaque à la mitrailleuse 12,7 mm depuis le poste du cimetière juif nord, est tué d'une balle dans la tête. «Pour neutraliser les Serbes retranchés dans la zone vie, je lance une grenade offensive avant d'y pénétrer, raconte HELUIN, mais elle provoque l'explosion d'une grosse bouteille de gaz.» Le lieutenant s'écroule, touché par un éclat au front. Le capitaine LECOINTRE reprend la tête de l'assaut. Deux autres Serbes sont tués et quatre faits prisonniers. Deux autres Français sont blessés. LECOINTRE s'engage dans le couloir qui mène à la redoute ouest où se sont repliés les Serbes. On se bat au contact. Un mort et un blessé grave côté serbe. Deux nouveaux blessés côté français. Ils ne sont plus que cinq à se préparer à lancer l'assaut sur le dernier réduit. Et là, coup de théâtre, les Serbes se présentent à l'entrée, poussant devant eux deux otages français (les douze autres ont été emmenés ailleurs), fusils d'assaut AK 47 braqués sur la nuque.
 
Pour compliquer le tout, les Bosniaques ont ouvert le feu depuis Union Invest. Croyant avoir affaire à des Serbes, ils blessent l'un des otages à la jambe. Le capitaine LECOINTRE rend compte au chef de corps. «Je lui ai demandé de cesser le combat, et de tenter un échange entre les prisonniers que nous avions faits et nos hommes.» Accord. Il est 9 h 08, l'assaut a duré vingt-trois minutes. Le colonel SANDAHL arrive sur les lieux et prend en charge les négociations. Les «Forbans», qui comptent deux tués et dix-sept blessés, sont relevés. Les discussions vont durer tout l'après-midi, alors que les blessés sont échangés. A un moment, les Serbes se livrent à un simulacre d'exécution sur un otage. A la nuit tombée, les Serbes restants quittent les lieux en tentant d'emmener un otage. Mais celui-ci parvient à prendre la fuite et courir vers les lignes françaises. «Lui, il aura vraiment eu de la chance, en ne se faisant tuer ni par les Serbes, ni par les Bosniaques, ni par nous», commente en souriant HELUIN. Chez les Serbes de Bosnie, on enrage contre le coup de force français. L'état-major du général MLADIC fait savoir au général GOBILLIARD qu'un otage français sera exécuté tous les quarts d'heure si les prisonniers serbes ne sont pas libérés. L'officier ne cédera pas au chantage. Tous les otages seront finalement libérés, le 17 juin.
Source : lefigaro.fr écrit par Arnaud de La Grange




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