Chapitre 6: LES FÉMININES DE LA SPÉCIALITÉ DES MATÉRIELS DE PARACHUTAGE ET DE LARGAGE

 

Témoignages de personnels civils, ouvrières d'État, ayant travaillé à la réparation des parachutes.

 
  • Témoignage de Mlle Andrée MONTEL.
À 18 ans, j’ai fait ma demande pour rentrer à l’Arsenal. C’était en 1950. J’aurais pu être prise, mais mes parents m’en ont dissuadé, parce qu’à cette époque, l’Arsenal avait mauvaise réputation. Je suis donc rentrée chez AVIOREX. L’usine se situait faubourg du Moustier, à Montauban, entre la rue du « Lycée » et la rue de la « banque ».
En face, il y avait la boulangerie « BREGAL » (la plus grande boulangerie de Montauban pendant la guerre, célèbre pour sa coque à la fleur d’oranger). Aujourd’hui, à sa place il y a le magasin « JADE ». C’était petit. La sellerie se trouvait à la cave et au grenier on faisait du repassage. Je me rappelle aussi du grand bassin, qui se trouvait derrière le bâtiment, dans lequel nous allions à tour de rôle laver les parachutes. Il y avait aussi un petit balcon et maintenant en dessous, ils ont fait comme un garage! Le long du bâtiment il y avait une petite ruelle qui descendait sur la plaine de SAPIAC. On garait nos vélos sur le boulevard et quand il pleuvait on les recouvrait d’une bâche. Les gens qui passaient devant croyaient qu’il y avait un réparateur de vélos ! Des fois, des personnes rentraient pour demander une pompe pour regonfler leur vélo.
Le gérant de cette entreprise (avec la cravate sur la photo) était un militaire à la retraite. Il me semble qu’il avait été colonel dans la cavalerie. Il s’appelait monsieur PINEDE. Mais celui qui faisait marcher l’atelier, c’était monsieur RAMAUD, un ancien capitaine de l’ARSENAL. Il avait embauché aussi, monsieur EYRALD, pour s’occuper de l’entretien et de la réparation des machines à coudre. C’était un peu l’homme à tout faire de l’atelier. Il avait été un des premiers chefs d’atelier de l’ARSENAL. 
AVIOREX appartenait aux frères DREYFUS, ils avaient une autre usine dans la région parisienne à CLICHY rue Barbès. Au début, j’ai commencé par repasser des cravates en soie. On faisait aussi des caleçons, des vestes, des sahariennes, que des vêtements pour l’armée. De temps en temps, nous voyions arriver des militaires qui venaient contrôler les vêtements que nous faisions. Ils procédaient par prélèvements.
Nous faisions de la réparation de parachutes en soie et nous fabriquions aussi des extracteurs en soie. Ils avaient douze petites suspentes. Le parachute AVIOREX était un parachute qui n’avait pas de panneau. Il n’avait que des fuseaux. On parlait de quart panneau supérieur ou de trois-quarts panneau. On posait une ganse avec une couture zigzague pour éviter que le fuseau ne se déchire sur toute sa longueur. Autre particularité, les empiècements. Ils étaient doubles. On mettait le plus grand dessus et le petit en dessous. Ce dernier devait être environ un centimètre plus petit. Et les contremaîtresses veillaient à ce qu’on n’inverse pas les tissus. Elles étaient très dures.
Il était interdit d’aller aux toilettes un quart d’heure après le début du travail ou dans le quart d’heure qui précédait la fin du travail. Nous faisions huit heures par jour, avec une seule pose le matin de dix minutes pour le petit déjeuner. Il était interdit de parler à la voisine, même pour demander une aiguille ! Il fallait passer par l’intermédiaire de la contremaîtresse. Par contre, le mercredi nous ne travaillions pas.
En 1950, quand je suis rentrée, j’avais mademoiselle TEULET comme contremaîtresse et je l’ai retrouvé quelques années plus tard à l’Arsenal. Nous n’avions pas de formation spécifique sur le parachute. Il fallait simplement savoir utiliser la machine à coudre. Nous décousions la pièce déchirée, la contremaîtresse nous donnait un morceau neuf et nous recousions.
Quand il n’y avait pas beaucoup de travail, nous faisions aussi des parachutes pour les usines de Cognac et de Bergerac. Ces usines devaient certainement appartenir aussi aux frères DREYFUS.
L’usine de Montauban a fermé en octobre ou novembre 1961.  je crois que les actionnaires avaient été un peu trop gourmands. Je suis alors allée travailler chez le fils BOUYER. L’entreprise s’appelait INTERFLEX, elle se trouvait presque en face de l’ALAT. Elle fabriquait des interphones.
En juin 1962, je suis quand même rentrée à l’Arsenal, avec une autre dame qui s’appelait madame TISSANDIE. C’est un officier (dont j’ai oublié le nom) et qu’elle connaissait qui nous a fait entrer. Nous étions à peu près une vingtaine à  rentrer à l’Arsenal. Je ma rappelle de : DAURIAC, OSPITAL, CARDETTI, LONDIOS, TROGLIA, MERCADIER, LACOMBE, LANGAGNE, LAGARDE, LAFARGUE, NARES Josette, TEULET. Nous avons été accueillies par madame BLANC qui était venue nous chercher au poste des gardiens veilleurs. Elle nous a expliqué succinctement ce qu’ils faisaient dans les ateliers et elle nous a demandé ce qui nous intéressait le plus entre la couture et la sellerie. Personnellement, j’ai choisi la couture et mon amie, la sellerie. Le chef de l’atelier couture était le lieutenant CLOAREC.Venant d’Aviorex, pour nous l’ambiance était bonne et le travail plus calme. J’ai quitté en 1992 après trente années de travail à l’Arsenal.
  • Photos transmises par Andrée MONTEL.
Le personnel d’Aviorex, en 1957, devant l’entreprise faubourg du Moustier.
Andrée MONTEL chez Aviorex.
 
  • Témoignage de Madame Marie VERTUT
À l’âge de 12 ans, j’ai quitté l’école pour travailler l’été à la propriété avec mes parents. Pendant trois hivers, je suis allée chez la couturière du village de Saint-Martin Labouval où nous habitions, pour apprendre à coudre. J’étais très habile dans ce travail qui me plaisait. Je suis restée à la ferme et m’y suis mariée. 
Mon mari est parti à la guerre et a été fait prisonnier pendant cinq ans. À son retour, nous avons quitté la ferme et sommes partis à Montauban en 1945. Là, j’ai trouvé du travail dans la couture : confection de sandales de corde et de feutre avec des Espagnols comme employeurs. 
Ensuite j’ai travaillé pour le magasin Marie-Claire. Je confectionnais des chemisiers en satin qui étaient brodés par la suite. Le satin est une matière très difficile à travailler. 
Lorsque j’ai postulé pour l’Arsenal, je n’ai de ce fait pas eu de mal à passer l’examen d’entrée sur le nylon. J’ai été embauchée en 1948. 
J’ai travaillé deux ans à l’atelier de couture sous les ordres des adjudants Ayral et Guérin. Il y avait deux chefs d’équipe : Mmes RIBEYRON et BARDET. Nous faisions toutes les réparations des parachutes, sauf zigzags et suspentes. 
Ensuite j’ai été mutée, avec Mme PÉCONTAL, à l’atelier de sellerie, sous les ordres de l’adjudant-chef Rolland qui était un très bon chef. Nous confectionnions des SOA. Par la suite nous avons réparé des sacs à parachute, changé des fermetures éclair, rapiécé, reprisé. Nous avons également confectionné des harnais pour parachutes à matériel et même pour les animaux de portage : on nous avait emmené un âne pour lui prendre des mesures pour les harnais! La SPA a fait interdire les parachutages d’animaux ! 
J’ai passé un examen pour changer de groupe : du groupe 4 je suis passée au groupe 6. J’ai fait un peu de plans et devis, puis j’ai été mutée dans le hall comme plieur, contrôleur. J’ai eu Mlles VIATGÉ et CAYLA comme chefs d’atelier. J’ai tenté de passer le groupe 7, j’avais une concurrente, Mme BORI. Nous avons échoué toutes les deux. L’année suivante je me suis représentée: j’ai été reçue. C’est le colonel ESTABLY qui m’a interrogée. Il m’a fait remarquer que je ne devais rien à personne, j’ai répondu: « je le sais ». Je me suis toujours débrouillée seule, sans appui. A son départ, le colonel ESTABLY m’a nommée chef d’équipe. 
En 1973 j'ai pris la retraite anticipée, à 53 ans, pour soigner mon mari malade. 
J'ai toujours eu de bonnes relations avec tous mes collègues. En principe, j’étais déléguée lors des réceptions pour représenter le personnel civil. 
Anecdote : entre l’atelier de couture et la sellerie il y avait un grand bassin avec une barque. Un employé qui faisait des petites corvées et qui n’était pas à jeun était monté dans la barque en chantant « je suis seul ce soir ». Le colonel DELBOIS, le directeur de l'ERGM, est arrivé avec sa pipe qui tremblait entre ses dents! On n’a plus revu le chanteur et la barque a été enlevée !



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