Chapitre 6: LES FÉMININES DE LA SPÉCIALITÉ DES MATÉRIELS DE PARACHUTAGE ET DE LARGAGE

 

Témoignages de personnels civils, ouvrières d'État, ayant travaillé à la réparation des parachutes.

 
Elles venaient d’horizons différents. Leurs motivations étaient différentes. Certaines auraient aimé être militaires, mais elles n’ont pas pu pour diverses raisons. Elles ont travaillé durement pendant plus de trente ans dans l’enceinte du quartier de l’Arsenal (« l’Aéro »), en tant que « Personnel Civil Ouvrier de la Défense ». C’était leur deuxième famille et bien souvent elles y travaillaient en famille. Elles sont unanimes sur un point : si c’était à refaire elles le referaient. 
Aujourd’hui, à la retraite, elles témoignent...
 
  • Témoignage de Mme Andrée BARTHE.
Je suis rentrée chez « AVIOREX » en 1958, , j’avais 18 ans. J’étais dans le nouvel atelier, rue Léon CLADEL. La bascule entre le faubourg du MOUSTIER et Léon CLADEL a dû avoir lieu en 1957. De nos jours ce sont les pompes funèbres qui ont pris la place de l’atelier. On rentrait par la rue de « l’égalité ». L’usine a fermé en 1960 et le patron c’était un ancien de la spécialité, monsieur RAMAUD.

De là je suis partie dans une usine de chaussures avant de rentrer à l’Arsenal. On fabriquait le 661-12. D’ailleurs, c’était Yvonne CARAY qui venait faire la réception des parachutes. L’atelier fabriquait aussi des sacs de transport, des bâches pour véhicules et des gargousses (enveloppes en toile contenant la charge explosive d’un canon).
J’ai connu un garçon dont le père travaillait à l’ALAT, à la menuiserie. Il m’a aidé à rentrer à la couture à l’Arsenal. C’était monsieur BARTHE, chef d’équipe à la menuiserie.
Quand je suis rentrée, en 1962, avec une dizaine d’autres filles venant d’AVIOREX, c’était le capitaine CLOAREC qui commandait l’atelier de couture et j’avais madame COURTOISON comme chef d’équipe. Nous avons passé un essai professionnel dans lequel il fallait faire un empiècement. Comme nous venions de la confection, il a fallu apprendre, pour nous c’était nouveau. Pendant toute ma carrière à l’Arsenal, j’ai travaillé à la couture. Vers la fin, j’ai fait du décompte de devis de réparation.
Quand je suis arrivée à l’ERGM, on travaillait encore sur le TAP 660. Cela me faisait drôle de travailler sur ce vieux parachute, alors que chez AVIOREX, on fabriquait du TAP 661-12 ! La particularité du « 660 », c’est que la suspente partait de la manille et faisait le tour de la coupole pour arriver sur la manille opposée. Ce qui voulait dire que pour changer une suspente, il fallait découdre toutes les coutures « zigues-zagues ».
J’ai connu la mise en place du travail à la chaîne. Il y avait d’abord la sellerie, puis le parachute était mis dans un bac avec le sac et la voilure, sur un chemin de roulement et ça partait au décousage : c’était le premier poste. Chacune prenait son parachute comme il arrivait (soit-disant !, car ils y en avaient toujours qui choisissaient ou certaines chefs d’équipe choisissaient le parachute pour leurs « préférées ») et ensuite on décousait ce qui était marqué à découdre. Puis ça partait au second poste, c’est à dire aux « secondaires ». Là, il y avait la personne qui montait les panneaux et qui faisait les empiècements. Puis il y avait le « batissage ». On surfilait deux panneaux entre eux avant qu’ils soient « piqués » à la machine. Ce travaille était un peu monotone. Quand le parachute arrivait en couture, le harnais et le sac avaient été, si besoins étaient, réparés. Puis après la couture, le parachute partait au re-suspentage, aux zigues-zagues, aux estropes et aux ganses.
Pour la partie pratique des essais professionnels, nous devions confectionner une housse à parachute pour l’essai du groupe V, un sac de ventral 501 ou sac dorsal de 661-12 pour celui du groupe VI et pour le groupe VII, un harnais de 661-12. Nous avions aussi une épreuve de pliage de parachute. Pour préparer ces essais professionnels nous avions des cours, après la journée de travail, dispensés par des militaires.
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J’ai pris ma retraite en 1995, avec le groupe VII que j’ai obtenu six mois avant de partir. Ce qui a eu pour effet de me faire perdre trois échelons.

 
  • Témoignage de Mme Edda BORRI.
Je suis rentrée en 1946 à l’Arsenal, j’avais 20 ans. J’étais couturière de métier. J’avais appris à l’école PIGIER sur machine à coudre électrique. C’est comme cela que j’ai pu rentrer, car celles qui se présentaient en ne sachant pas coudre, elles n’étaient pas prises. Nous n’avions aucune formation spécifique. On nous mettait à un poste de travail et c’était parti!
J’aurais voulu être militaire, mais comme je venais de me faire naturaliser (je suis arrivée en France, venant d’Italie, j’avais 1 an), je n’ai pas pu car il fallait avoir plus de trois années de nationalité française.
Les ateliers de couture et de réparation se trouvaient dans le bâtiment qui longe la route du cimetière de Montauban. En même temps que nous faisions de la réparation, nous avons appris à plier des parachutes, dorsaux et ventraux. Le pliage se faisait dans une grande salle au fond du bâtiment central.
Le rythme et les conditions de travail étaient très dures. Nous avions un rendement à tenir et bien souvent certaines filles craquaient, parce qu’elles n’arrivaient pas à le tenir. C’étaient des militaires qui nous encadraient. Nous faisions 45 heures par semaine en commençant à 7h le matin. A cette époque, il n’y avait pas de pointeuse. C’étaient les gardiens veilleurs qui contrôlaient les horaires d’arrivée à l’entrée. Quand l’heure d’embauche était passée, ils baissaient la barrière. En hiver, pour chauffer l’atelier, il y avait un poêle à charbon qui était allumé en début de journée par les chefs d’équipe. Inutile de dire, qu’il ne chauffait rien du tout.
L’ambiance entre les personnels était particulière. Il y avait beaucoup de jalousie entre civils et militaires. Cela venait du fait, entre autres, que les militaires (les réparatrices) faisaient du sport le matin, allaient au saut, au tir ou passaient deux jours sur le terrain. On se jalousait aussi entre civiles. Par exemple, je suis passée directement du groupe IV au groupe VI. J’ai fait des envieuses.
Nous recevions des parachutes d’Indochine. Nous les contrôlions et les réparions. Nous bouchions les trous ! Bien souvent, les parachutes étaient sales, il fallait les nettoyer. C’étaient des parachutes américains. Pour nettoyer ces parachutes, nous utilisions le trichloréthylène, car des fois, nous trouvions des taches de sang.
J’ai terminé groupe VII. J’aurai pu être chef d’équipe, mais cela ne m’intéressait pas, parce qu’il fallait moucharder. Tout ce qui se passait dans l’atelier il fallait le dire au chef. J’ai souvent fait été au contrôle des parachutes sur table. J’ai quand même assumé la fonction de chef d’équipe, lorsque j’ai travaillé au génie (la réforme) avec Josette FOLCH. Par rapport à l’atelier, le travail était plus tranquille, surtout parce que nous étions moins contrôlé.
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J’ai pris la retraite en 1986, à l’âge de 60 ans. Et je dois dire que cela me tardait.
 
  • Témoignage de Mme Josiane BOSQUÉ.
Mon père disait toujours : « les femmes n’ont pas besoin de travailler ! ». Il m’avait mis dans une école pour être comptable. On lui avait dit, qu’il fallait que j’apprenne la dactylographie. Quand il a vu qu'en comptabilité j’avais de mauvaises notes et que j’avais 19 sur 20 en dactylo, il m’a fait supprimer la dactylo. Et là j’ai dit : « un jour je serais dactylo! » 
Il m’avait mis chez une couturière, à Nègrepelisse, mais je ne gagnais pas grand-chose, d’autant que j’avais deux enfants à charge. J’avais une amie (Hélène GARCIA) qui travaillait déjà à l’Arsenal et qui m’avait dit : « pourquoi tu ne fais pas la demande pour y entrer? ». J’ai suivi son conseil et je suis allé à ma convocation.  Le fait d’avoir travaillé chez la couturière m’a rendu service. Grâce à cela je n’ai eu aucune difficulté pour passer l’essai professionnel d’entrée à l’Arsenal. Et le 16 septembre 1957, je suis rentrée à l’établissement avec un contrat de travail, en tant qu’ouvrière spécialisée groupe IV 1er échelon.
Du 16 septembre 1957 au 15 février 1963, à l’atelier de réparation.
Je réparais différents types de parachutes, mais surtout du 660 et du 661. Le chef d’atelier s’appelait madame BLANC : ADC BLANC. 
Le rendement c’était l’enfer ! Je ne le faisais jamais. Le capitaine ESTABLIE, chef de l’atelier, m’avait convoqué un jour parce que je ne faisais pas le rendement. Je faisais 10, 9 parachutes, tout dépendait des réparations qu’il fallait effectuer. Il y avait un chef d’équipe, une « saleté ». Elle faisait la distribution des parachutes à réparer. Les personnes qui lui apportaient des chocolats, elle leur donnait des parachutes sur lesquels il n’y avait pas beaucoup de travail à effectuer : un panneau par ci, un panneau par là. Rien à voir avec une réparation de la cheminée. Moi, j’avais toujours des parachutes sur lesquels il y avait beaucoup à faire, parce que je ne lui apportais rien. Mais j’aimais le travail bien fait, donc j’y mettais plus de temps ! Un jour le capitaine m’appelle et me dit : « vous ne faites pas le rendement ! ». Je lui ai répondu que je faisais d’abord du bon travail et après le rendement. Il m’a rétorqué : « il y en a qui font le rendement et qui travaillent bien ! ». Moi je ne pouvais pas. Il m’a dit : « vous pouvez disposer ! ». Le vendredi soir qui suivit cette convocation, il a téléphoné à l’atelier et a demandé de mettre sur une table tous les parachutes que j’avais réparés et qu’il viendrait les contrôler. Il est venu, les a tous contrôlé et n’a rien trouvé à reprocher. À partir de ce jour, je n’ai plus entendu parler du rendement. 
Je n’avais pas abandonné l’idée de devenir dactylo. Le soir après le travail j’allais prendre des cours de dactylo à l’école PIGIER de 18h à 19h jusqu’à ce que je passe et réussisse à l’examen. Le samedi et le dimanche je faisais mes devoirs ! 
J’ai travaillé aussi à la réparation des voiles lourdes (G11, PL 12). Le travail était pénible. Il fallait monter sur les tables pour tirer les parachutes. Ce travail ne me convenait pas !
Du 16 février 1963 au 23 septembre 1969 : secrétariat direction de l’ERGM ALAT et Aéro.
À l’établissement, quand ils ont appris que j’avais obtenu un diplôme de dactylographie, et comme ils avaient besoin d’une dactylo, j’ai été mutée au bureau de marque puis rapidement au secrétariat de la direction parce qu’il manquait du personnel. J’ai effectué un remplacement qui devait durer un mois et j’y suis restée six ans. Comme je ne m’entendais pas avec le colonel ESTABLIE, il m’a viré du secrétariat direction pour me mettre au secrétariat de l’Instruction.
Je voulais être militaire, mais je n’ai pas pu !
À l’époque où je travaillais au secrétariat de la direction, un capitaine m’avait dit un jour: « mais pourquoi vous ne faites pas militaire ! ». Il m’a indiqué la procédure à suivre et j’ai constitué mon dossier pour faire acte de candidature. J’avais deux enfants. En cas de guerre, il fallait partir. Il fallait donc que je fasse une attestation pour qu’un membre de ma famille s’occupe de mes enfants en cas de problème. J’ai donc demandé à mon père qui a tout de suite accepté mais qui en a parlé à mon frère de Nègrepelisse. Celui-ci lui a répondu : « papa si tu signes ce papier tu ne me reverras plus ! ». Il a influencé mon père, parce qu’il n’aimait pas les militaires. Et voilà comment je suis restée personnel civil de la défense. Mais, dans mon cœur, je suis militaire !
Du 24 septembre 1969 au 28 février 1993 : secrétariat du GFI.
Au début, quand j’étais au GFI, on faisait de la formation, de l’instruction de base, et on s’occupait de la mobilisation, de l’armement, et des munitions. 
J’ai même fait du démontage et du re-montage de fusils (le FSA 49/56). Il n’y avait pas de soldats au GFI et pour préparer une inspection, le capitaine de l’époque m’avait dit : « écoutez madame BOSQUÉ, comme tout le monde, vous prenez le chiffon, vous démontez les fusils et vous les nettoyez ! ». Je mettais le chiffon par terre et j’y appuyais dessus le canon de l’arme pour, en trois mouvement, enlever la culasse du 49/56. Et après je nettoyais. C’est comme cela que j’ai appris à démonter et à remonter un fusil.
J’ai eu un avertissement!.
C’était le 12 décembre 1969, il neigeait. J’habitais de l’autre côté de Montauban, à l’opposé de l’Arsenal. Nous étions deux à venir au travail en Solex. Vu les conditions météorologiques, il était impossible de rouler avec nos cyclomoteurs. Monsieur MUSSINY qui travaillait à l’ALAT nous a emmenés en voiture jusqu’à la piscine et après nous avons continué à pied. Nous sommes donc arrivés à l’Arsenal avec vingt minutes de retard ! Cela nous a valu de la part du colonel ESTABLIE la sanction suivante : Un avertissement et 1h sans salaire pour 20 minutes de retard ! 
Le capitaine de l’Instruction était outré, il m’a dit : « la prochaine fois que vous avez un problème, madame BOSQUÉ, vous ne venez pas au travail. Vous allez chez le docteur et vous vous faites porter malade». 
Deux ans avant de prendre la retraite, le capitaine qui commandait le GFI me reçoit pour la notation annuelle et là il me dit : « mais dites donc, vous êtes rentrée en 1957, groupe IV, et vous êtes toujours au même groupe après trente et quelques années et personne ne vous a fait avancer en groupe ? ». 
À une époque un de mes anciens patrons de l’instruction, le capitaine BERGER (un homme exceptionnel) voulait me faire passer au groupe V au choix. On lui avait répondu que ce n’était pas possible, qu’il n’y avait que dans la marine que cela se faisait. Comme on me l’avait refusé une fois, je ne voulais pas le faire. 
Le capitaine, devant mon refus, m’a dit : « vous allez passer l’essai professionnel pour l’obtention du groupe V ! Vous allez bientôt partir à la retraite, cela vous fera 200 francs de plus sur la pension ! ». Le problème, c’est que je n’étais pas syndiquée ! Et naturellement pendant l’examen de l’essai professionnel, j’allais avoir les syndicats sur le dos. Le capitaine m’a dit : « madame BOSQUÉ, je vous connais, vous aurez les questions et les réponses et je vous donne un ordre: vous allez passer cet essai professionnel ! ». 
J’ai donc passé cet examen sans avoir eu besoin de « pompes », car ce n’était pas compliqué. De toute façon je ne pouvais pas tricher, les syndicalistes me surveillaient de près. J’ai été reçue première de l’examen. Quand j’ai été nommé groupe V, je suis passée première. Le directeur de l’époque avait dit : « madame BOSQUÉ n’est pas syndiquée, elle n’a personne pour la défendre, je la fais passer en premier. ».
En conclusion.
Après avoir travaillé 36 ans au sein de l’institution militaire, bien que n’étant pas militaire, je le dis et je le répète, c’est grâce à l’armée que je n’ai pas « crevé de faim ». Prendre la retraite a été pour moi une épreuve ! Si c’était à refaire, je signerais tout de suite.
  • Commentaires
CDT(er) M. BURNY.
Madame BOSQUÉ est une figure de notre spécialité. Durant trois années elle a été ma secrétaire fidèle et dévouée. Je n'oublierai jamais sa manière de se mettre au garde à vous, chaque matin, quand je pénétrai dans mon bureau. Quel bonheur de travailler avec des personnels de cette qualité.
ADC(er) D. VIALA.
Vous êtes plus militaire que certain de nos militaires.
BCH(er) V. LAJARA.
Je confirme !! Plus militaire que certains qui n'en avaient que la tenue.
MJR(er) F. PEROTTO.
J'ai connu Mme BOSQUET en arrivant au GFI en 1982 ou 1983 puis en 1992 jusqu'à son départ en retraite. Je confirme qu'elle a toujours eu l'âme Militaire jusqu'au fond des tripes avec un cœur en or et le souci du travail parfaitement réalisé. Même sans aide informatique à l'époque, aucun oubli ou retard: toujours au rendez-vous, du pur bonheur! Mme BOSQUET a largement mérité le départ que le CDT BURNY et tous lui ont concocté. Pour information, c'est cette préparation et cette organisation qui ont fait naître l'idée de l'Amicale MATPARA telle qu'elle existe aujourd'hui avec ces repas annuels à Montauban... 
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