Chapitre 5: LES OPÉRATIONS

 

La spécialité des matériels de parachutage et de largage en Indochine.

 
  • Témoignage de Pierre GUIN: les C119 Fairchild Packet à Dien Bien Phu.
Pierre GUIN: saint-cyrien de la promotion Général LECLERC (1946 - 1948), EAT Tours, affecté à la 1ère CRA à Kehl (Allemagne), deux séjours en Indochine, retour à Kehl, affecté en Algérie à l'état-major 3ème bureau. Il démissionne de l'Armée en 1962.
En 1951, quand je débarquais venant d’une Compagnie de Ravitaillement par Air de métropole, les activités de ravitaillement par air partaient de deux aérodromes, tous deux situés dans la banlieue de Hanoi :
  • celui de GIA-LAM, par avions militaires et civils (Aigle-Azur, Cati, Air Outre-mer),
  • celui de BAC-MAI par avions militaires uniquement.
En dehors et au nord du Delta jusqu’à la frontière de Chine, de nombreux postes isolés d’importance variable étaient disséminés. Les plus importants, et lorsque le relief le permettait, disposaient d’une piste d’atterrissage : là était pratiqué le « posé ». Au profit des plus petits, il fallait parachuter ou dropper ( le riz par exemple qui était mis dans deux sacs ; à l’impact le sac intérieur se déchirait).
Fin novembre 1953, une section de Ravitaillement par Air, dont j’étais le responsable, est mise en place à la base aérienne de CAT-BI à HAIPHONG, commandée par une « figure » de l’Armée de l’Air, le Colonel BRUNET.
Elle comprend deux groupes : 1 groupe de conditionnement, 1 groupe de largage. Les procédures alors en usage, largage de colis de 80 kg maxi, par la porte latérale des DC4 ou Junker, vont changer d’échelle avec l’arrivée simultanée de C119 de l’US Air Force, du matériel de largage lourd et de conseillers venant de la 8081 ST Air Supply basée à ASHIYA au Japon, 12 hommes voués au conditionnement et commandés par le Capitaine Donald FRAZER.
Nos sous-officiers venus de la 1ère CRA de KHEL prennent sans peine le relais des conseillers US.
Les pilotes sont mixtes :
  • de notre Armée de l’Air, commandés par un homme exceptionnel, le Capitaine SOULAT, décédé en 1995. Pendant tout le pont aérien, ils voleront de jour (et parfois de nuit),
  • des FLYING TIGERS, créés par le Général CHENAULT. 
Le risque est leur métier et le pilote « lambda » totalise entre 20 et 30.000 heures de vol. En général ils volent de nuit. L’un d’eux Mc GOVERN, par suite d’un mitraillage sur un moteur, devra crasher son avion dans la jungle et ne reviendra pas. A noter que dans la soute un sous-lieutenant du « Ravitaillement par Air », arrivé de France deux jours plus tôt et dont c’était la première mission.
L’arrivée avec les C119, des matériels adaptés à la mission nous laissent pantois : parachutes G12 d’environ 400 m², porteurs d’une tonne, surtout utilisés pour les gaines contenant des obus de 105, parachutes G11 d’environ 700m² porteurs de deux tonnes, plateformes métalliques autoporteuses, kits de conditionnements pour canon de 105, plateformes en bois de différentes tailles, manilles, sangles toutes résistances, estropes,….et bien sûr parachutes de sécurité, pendant le vol, à ouverture commandée, sans oublier les chemins de roulement, les chaînes d’arrimages, la dernière sangle à dégrafage rapide et les parachutes extracteurs de charge. Un déluge de matériels permettant toutes les variantes possibles comme nous le verrons plus loin.
Nous larguons une moyenne de 120 à 130 tonnes par jour et chaque jour ou presque, se posent des gros porteurs ayant fait escale à la base de CLARK FIELD aux Philippines qui déversent des matériels neufs. Sur notre parking réservé sont alignés de 12 à 15 C119 entretenus par les mécaniciens de l’US Air Force et une « baraque de chantier » bourrée d’appareils radios.
Les Viets, une nuit, attaquent le parking mais il est repoussé. Par la suite chaque avion sera individuellement gardé. Un soldat vietnamien de faction gravera avec un clou son nom sur une pale d’hélice ( rectangulaire et très longue, en matériau composite) qu’il faudra changer…. 
Le 4ème bureau des FTNV (Capitaine VERNET) m’avise un jour qu’un bulldozer va être livré et devra être parachuté. Le Capitaine VIAL, du Génie, nous guide pour séparer les éléments du bloc-moteur-chenilles. Deux plateformes G.P sont utilisées. Celle portant les éléments détachés est utilisée en autoporteuse, son parachutage ne pose aucun problème. Celle du bloc-moteur-châssis est utilisée en version roulement, les parachutes étant reliés directement au bulldozer.Dans l’histoire militaire mondiale, parachuter un bulldozer d’environ 6 tonnes ne s’est jamais produit. Nous préparons le conditionnement ( Mdl-chefs TORCATIS et PHEULIN, anciens de la 1 ère CRA) sans penser un instant au danger représenté par l’éjection. « Et si la charge était sortie trop lentement ou s’était coincée en travers de la soute !!!...le cabrage de l’avion était certain, aussi certain que la chute de l’appareil».
Il est évident que vu le poids de la charge et la résistance proverbiale des engins TP, vu aussi le volume du bulldozer augmenté du volume des parachutes, tout conditionnement visant à diminuer l’impact au sol n’était qu’illusoire. De simples coussins parallélépipédiques en feutre furent placés sous le châssis. Comme précisé plus haut, la plateforme GP était rouleuse et non porteuse, des sangles (t de résistance) chacune destinées à supporter le châssis furent reliées à une manille gros modèle et entre la manille et les parachutes porteurs une « estrope ». Imaginez environ 10 sangles cousues ensemble, collées pour former un cercle d’environ 50cm de diamètre (environ 40t de résistance).
Au choc à l’ouverture occasionné par le déploiement de 3 parachutes G11, soit 2000m² de voilure, un freinage se produit sous l’effet d’une charge de 6 tonnes !! Il n’est pas d’une extrême violence mais d’une puissance qui sans valoir ½ de mv², s’en approche. Et la seule « estrope » de près de 35t de résistance à la traction a cédé. Le bulldozer a connu la joie de vivre à 250 km/h et l’exploit de faire un trou dans le sol. Une manille peut se déformer, elle ne casse pas.
Pour la préparation du deuxième bulldozer, dont j’avais fait une affaire personnelle, (SOULAT aussi…) apporta son moment d’émotion car il fallut près de deux minutes au parachute extracteur pour sortir à bonne vitesse la charge. Le cabrage craint n’arriva pas.
Le largage des matériels axiales, par l’arrière, offrait et offre toujours des opportunités inattendues. Le Colonel BRUNET, chasseur intrépide, n’avait pas digéré l’attaque de sa base et voulait punir le village d’où étaient partis les viets. Il avait l’idée d’utiliser les C119 pour larguer….du napalm. Ce liquide fut mis en touques de 25 litres, chacune étant équipée d’un allumeur et les touques positionnées sur des plateformes en bois confectionnées à la demande. Restait à trouver le système d’activation des allumeurs, après réflexion, j’ai pensé que les touques tomberaient en chute libre, mais que le plateau en bois, par sa surface et sa légèreté, flotterait dans l’air ; les systèmes d’activation des allumeurs furent donc attachés au plateau de bois.
Comme pour le largage du bulldozer, ce largage de napalm était une première : l’avion arrive à la verticale du village ( coordonnées = X 562 476), les plateaux sortent par un léger cabrage de l’avion, d’un bout à l’autre du village, je n’ai jamais vu, au cours de ma vie, une vision aussi dantesque. Plus tard… j’imaginais la vie de ces habitants vivant paisiblement ( mais se transformant la nuit en guérilleros tueurs ) se montrant du doigt un avion au dessus du village. Un B52 n’aurait pas fait mieux.
Nous sommes en 1997 et retraités, nous avons, à nos âges gagné en expérience et sommes en mesure d’analyser et donc de tirer des leçons. D’abord, que sommes nous allés faire dans cette cuvette ? Pourquoi les patrons de l’époque n’ont-ils pas voulu tenir compte du génie logistique de GIAP (ancien élève de mon beau-père) ? Il n’a jamais été un grand stratège mais un logisticien hors pair utilisant les moyens dérisoires d’un peuple nombreux et motivé. J’ai sauté en opération au nord de NGHIA-LO et rejoint le 2ème REP parti vers l’est sur le piton. La nuit fut une révélation : brusquement, à des kilomètres, les vallées se peuplèrent de « chenilles » éclairées, circulant sur le flanc des vallées, il y avait plus de 10.000 porteurs….
Sur CAT-BI au bureau de renseignement, s’étalaient tous les matins les photographies aériennes. Imaginez un point d’appui autour de la cuvette, un matin vous voyez sur la photo un trait se dirigeant vers le point d’appui, on pense à une erreur de l’appareil de prise de vues et le lendemain, c’est un Y, et puis un Y sur la branche droite, un Y sur la branche gauche : des tranchées dans lesquelles s’engouffraient des centaines d’hommes.
Pourquoi alors s’étonner que les Viets aient pu creuser le sommet des collines et que 200 ou 300 hommes aient réussi à y hisser des canons de 105. Nous n’avons pas su ( les USA non plus ) nous adapter à cette guerre.
Enfin je dois parler du matériel utilisé à CAT-BI : simple, solide, mise en œuvre aisée, réapprovisionnement à profusion. Depuis 1954 ou plus exactement 1962, fin de l’épopée algérienne, avons-nous réussi à mettre au point et à stocker des milliers de parachutes, des plateformes de tous modèles, des kits ?
Pour y avoir été affecté, je suis resté en contact avec le Centre Aéroporté qui prépare les matériels. Sur le bulletin de liaison on parle de « belles charges ». Quand on participe à une chaîne logistique, on ne joue pas l’intellectuel assis au Fouquet’s, il n’y a pas de « belles charges », il y a des charges conditionnées à partir de matériels adaptés, simples et nombreux.
Enfin, l’expérience a prouvé que sur une base, la symbiose aviateur-ravitailleur par air est totale. Six mois après la chute de Dien Bien Phu, le Pentagone s’inspirant de l’expérience de CAT-BI a détaché le Ravitaillement Par Air de la Terre pour l’affecter à l’Air. Chez nous, il est toujours « tringlot ». Depuis 1962, le Train n’est même pas devenu « Arme Logistique », la routine se porte bien. !!!
Merci au Colonel VIAL du Génie, à TORCATIS, à PHEULIN, à l’adjudant-chef MAESTRATI moniteur-chef des largueurs, au Colonel BERTIN pour son livre « Packet sur Dien Bien Phu » et à la mémoire du Colonel BRUNET, du Capitaine SOULAT et aux milliers d’autres…..

  • Photos d'une Compagnie de Ravitaillement par Air: photos transmises par Franck MONTAURIER (Coin's 501). À voir ici>>. Pour en savoir plus, cliquez ici>>
  • Le Matériel dans la bataille de Dien-Bien-Phu.
Extrait d’un article, paru dans la Revue Historique de l'Armée n°3 en AOÛT 1956, du Colonel LEONARD.
Les problèmes du parachutage :
Trois phases successives ont caractérisé les opérations de ravitaillement des troupes de Dien Bien Phû:
  • Utilisation simultanée de l’avion et du parachute, tant que la piste d’envol a été accessible,
  • Parachutages normaux à basse altitude,
  • très vite, en raison de la DCA viet-minh, nécessité de recourir aux parachutages à haute altitude (2 500 à 3 000 mètres) avec ouverture retardée.
Le Matériel a fourni, en liaison avec les compagnies de ravitaillement par air, un effort exceptionnel pour satisfaire sans défaillance aux besoins du combat.
Il a eu essentiellement à résoudre un problème de masse. Les ordres de grandeur des besoins sont en effet plus les mêmes avant et pendant Dien Bien Phû. Avant, la cadence des ravitaillements par air évoluait autour de 1 500 tonnes mois, et le potentiel disponible en parachutes à matériels vers 8 000 tonnes. Après l’engagement de la bataille, la cadence passe brusquement à 10 000 tonnes mois, et très vite il n’existe plus aucune possibilité de récupération des voilures.
Problèmes de parachutes :
L’ appel aux fabrications japonaises, l’aide américaine ont assez vite permis d’étaler. Les autorités américaines ont en particulier mis à la disposition de l’Indochine des parachutes de type G12 de 1 tonne, qui associés aux avions C119, ont permis tous les parachutages lourds.
L’opération de Dien Bien Phû a consommé à elle seule, toutes récupérations du début déduites :
  • 2 500 jeux de parachutes à personnel,
  • 65 000 voilures légères de 100kg,
  • 850 voilures lourdes G12.
Problème des accessoires de largage, ces utilités auxquelles les hautes autorités ne pensent qu’à peine. Il a fallu approvisionner ou confectionner : 
  • 180 000 anneaux de brêlage par mois,
  • 240 tonnes de cordes de brêlage par mois,
  • 80 000 plateaux et colliers de serrage pour les munitions de 105.
  • 4 200 plateaux de largage pour C119.
Tous les stocks des matières premières d’Indochine et des pays voisins ont été exploités et des appels massifs faits à l’extérieur. Il est arrivé des tonnes de corde de Manille par avions spéciaux. Il a fallu trouver 1 000 m3 de bois dans un territoire où les zones boisées étaient presque entièrement sous le contrôle du viet-minh. Les services d’approvisionnements de Hanoi et de Saigon, ont été mis à rude épreuve, et les service de transport ont réalisé des tours de force.
Problème, enfin, nouveau du parachutage à haute altitude, et qui à reçu du Matériel une solution hardi et efficace. 
Dès que la DCA viet-minh s’est révélée terriblement efficace, il n’a plus été possible aux avions de procéder à basse altitude au largage du ravitaillement et de survoler à 300 mètres, comme ils le faisaient auparavant, les DZ de la cuvette de Dien Bien Phû.
Mais il est apparu très vite que, si les parachutes étaient lâchés à une altitude excessive, la dispersion des points de chute croissait de façon inadmissible, et les charges tombaient en majorité hors des zones amies où leur récupération étaient encore possible. 
Aussi le 19 mars le commandement demande au Matériel d’étudier un dispositif d’ouverture retardée permettant de larguer entre 2 000 et 3 000 mètres avec ouverture du parachute vers 300 mètres.
Il existait bien un dispositif américain (time cutter), mais de durée de fonctionnement trop faible, et à de rares exemplaires, même aux USA. Le japon avait fabriqué pour les forces françaises un « hesitator » à mouvement d’horlogerie, réglable jusqu’à quarante seconds, mais il n’était pas au point, et sa fabrication complexe ne pouvait être lancée dans les délais voulus. 
L’appareil à réaliser d’urgence ne pouvait être qu’un appareil de fortune. La solution adoptée a été préconisée par le lieutenant DEU, qui dirigeait la section d’entretien et de pliage des parachutes d’Hanoi, avec la collaboration technique du capitaine MASSON, chef de la section munitions de la direction des FTNV. Une suspente entourait au départ le bord d’attaque du parachute, et contraignait celui-ci à descendre en torche au moment du largage. Cette suspente était, au bout du nombre de secondes nécessaires, cisaillée par l’explosion d’une amorce détonateur. Pour déclencher au moment voulu cette explosion du détonateur, une mèche lente, d’une longueur calculée, était enflammée au largage par un allumeur à traction serti sur elle, et fonctionnant automatiquement au lâcher. 
L’ensemble du dispositif était fixé sur un bâti de carton attaché au parachute qui portait deux exemplaires de façon à réduire au maximum les chances de ratés.
Les premiers déclencheurs à retard, demandés le 19 mars, étaient essayés le 21, mis au point, et la fabrication en série lancée le 28, à la cadence de mille par jour, puis de deux mille. Fabriqués à la fois à Saigon et à Hanoi, ils étaient acheminés du sud par avion spécial toutes les quarante-huit heures. Les durées de déclenchement ont été successivement de dix-sept, vingt-cinq, quarante et cinquante secondes, correspondant à la nécessité de parachuter de plus en plus haut. Il en a été construit soixante et onze mille entre le 28 mars et le 8 mai. 
Il a fallu, là aussi, résoudre des problèmes d’approvisionnement multiples et imprévus. Pour trouver 200m² de carton par jour, on a fait flèche de tous bois : récupération dans tous les services de la Guerre, utilisation d’emballages industriels (en particulier ceux qui possédait la société des cigarettes Bastos), commandes par avion à la métropole, etc.. 2 km de mèche lente chaque jour ont vite épuisé les ressources d’Indochine, l’aide américaine y a pourvu, ainsi que la métropole. Tous les types d’allumeurs ont été utilisés, et la métropole en envoyé cent quarante mille par avion. Il a même été monté une petite fabrication locale. De même pour le ruban adhésif de fixation, les agrafes, les suspentes, etc.. les colis largués de nuit étaient marqués à la peinture fluorescente. Enfin, grâce à l’activité et à l’imagination de tous, la fabrication des retardateurs n’a jamais été arrêtée.
D’autres problèmes relatifs au parachutage ont été résolus favorablement : utilisation de grappes de voilures légères pour pallier l’absence de voilures lourdes (c’est ainsi qu’ont été parachutés les trois composants du 105 HM2), réparation des parachutes et accessoires de largage récupérés, etc.. 
Disons simplement pour terminer que, du 20 janvier au 7 mai 1954, nos avions larguèrent en Indochine 30 000 tonnes, soit le chargement de douze mille camions GMC, et que Dien Bien Phu a reçu en moyenne, pour sa part, 100 kg par minute. 
Grâce à ces efforts, la bataille a pu être alimentée jusqu’au bout, et les combattants résister jusqu’au déferlement final.
  • Service Technique des Unités Parachutistes (STUP).
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Crédit photo: J-P MAGUET
  • Ils ont servi en Indochine et ils témoignent ici>>.
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