Nous sommes parties de Marseille le 22 avril 1950. Pendant la traversée, nous avions sympathisé avec les serveurs, ce qui nous a permis d’améliorer largement les repas. Nous avons fait escale à Aden et à Colombo. En mer nous avons croisé des petits bateaux à vapeur, dont les équipages étaient les trois-quarts du temps des Africains. Il fallait voir comment ils étaient traités. Ils étaient tabassés, on aurait dit des négriers : c’était révoltant. Et après trente trois jours de traversée plutôt calme, nous sommes arrivées au Cap Saint Jacques, puis Saigon. Là nous y sommes restées deux ou trois jours. Puis ce fut l’envol vers Hanoi. La durée du séjour était de dix huit mois prolongés de six mois. Comme nous n’avions pas de statut, nos engagements allaient de six mois en six mois. Nous avons été affectées à la Base Aéroportée Nord (BAPN). Au début, nous travaillions à Pasteur en face de l’hôpital. Notre chef de section de pliage était le lieutenant CLOAREC. Je l’avais déjà croisé à Idron. À l’époque, il était tout jeune sergent sortant des écoles d’enfants de troupe. Puis l’activité augmentant ainsi que le nombre de plieuses, nous sommes « montées » à Bach Mai, l’aéroport d’Hanoi. Nous pliions les parachutes à personnels (dorsaux et ventraux) et les parachutes à matériels pour les petits colis. Les gros parachutes de charge, de type PL 12, étaient pliés par les hommes. Il nous arrivait, des fois, de trouver des « morceaux de viande » collés à la voile. En effet les parachutes servaient aussi de linceul ! La salle de pliage se trouvait dans des hangars en tôle. Une année on a eu jusqu’à 75°C, en une seule journée. Pour toute tenue de travail, nous portions la blouse par-dessus le slip et le soutien-gorge. Tellement nous transpirions, que nous avions l’impression d’uriner à notre poste de travail ! Les conditions de travail étaient très dures. Il y avait une tour de séchage. En arrivant, j’ai retrouvé des filles qui étaient avec moi à PAU. Nous étions une centaine de plieuses. Quand il y avait un coup dur, nous recevions le renfort des filles de la Base Aéroportée Sud de Saigon. Le pliage se faisait par deux. Du fait de mon ancienneté au pliage à Pau, j’ai été très vite nommée surveillante. J’étais responsable de trois tables et je m’assurais, entre autre, que les nœuds et liaisons étaient correctement réalisés. Le déroulement de la journée était lié au rythme des opérations. Contrairement à ce qu’on a connu par la suite en Algérie, les opérations étaient planifiées. Il nous arrivait de réparer le jour et de plier la nuit et vice-versa. Le matin, en arrivant dans la salle, on avait le rendement de la journée en bout de table. Le chef-major ARBRE (alias coco), avait tout calculé avant notre arrivée. Nous avions une pause à 9 h. Nous allions, au mess, prendre un sandwich et un verre de rosé. Nous nous arrêtions à midi et reprenions à 14 h, sans avoir la possibilité de faire la sieste. Dans les périodes de repos, nous en profitions. Nous allions au cinéma, au bal. Il m’est même arrivé de croiser le général SALAN ( à l’époque adjoint au haut-commissaire en Indochine) dans un dancing. Mais je n’ai jamais dansé avec lui! Entre filles, nous nous entendions bien. Il y avait bien la chef de cantonnement qui était un peu pinailleuse. Certaines fois elle nous interdisait de sortir. Alors nous usions de ruses pour « faire le mur »! Nous logions chez les bonnes sœurs, mais nous n’avions aucun contact avec elles. Le matin un car de marque « Chausson » venait nous chercher tôt le matin. A moitié endormies, nous embarquions et nous nous habillions dans le car. Nous avions baptisé le chauffeur « Chaussinet » et nous lui disions : « Chaussinet, ne regardes pas, on se change ! ». Pour Dien Bien Phu, nous avons plié pendant quatre mois, nuit et jour. Nous « marchions » au café fort et au maxiton (médicament employé comme excitant des facultés intellectuelles.). Quand ce n’était pas suffisant, nous avions droit à l’intraveineuse. Dans ce cas il fallait rester allonger une demi-heure. Une fois, pour faire l’andouille, j’ai voulu me lever tout de suite après l’injection. Bien mal m’en a pris, je suis tombée par terre très lourdement. En guise d’aide l’infirmière m’a apostrophé d’un : « c’est bien fait pour toi » et après avoir repris mes esprits je suis repartie au pliage. Les « paras » nous attendaient en bout de table pour prendre leur parachute et s’équiper. Certains n’avaient jamais sauté, ce serait leur premier saut et peut être le dernier. Quand Dien Bien Phu est tombée, nous avons toutes pleuré. Après Dien Bien Phu, nous avons été évacuées sur Tourane (appelé de nos jours Da Nang, port du centre Vietnam). Je me suis portée volontaire pour accueillir les prisonniers qui étaient libérées des camps. Nous étions trois ou quatre a effectuer cette mission en plus de notre travail de pliage. Nous nous m’occupions des sous-officiers et des soldats. La monnaie d’échange était simple. Pour récupérer cent de nos gars, il fallait donner mille Vietnamiens! À l’approche des prisonniers, on avait la consigne de ne pas faire un geste, même de reconnaissance ! Et pourtant, j’en reconnaissais certains qui étaient avec moi à Pau. Quand j’ai vu les premiers qui ont embarqué, je me suis mise à pleurer : ils n’étaient pas beau à voir. Les gars avaient la dysenterie. Nous disposions d’une bassine d’eau tiède, d’une éponge et comme pour les bébés nous les déculottions, les nettoyions et les rhabillions. Nous les faisions monter à bord des LCT (bateau de débarquement et de transport). Là nous leur donnions une purée, une tranche de jambon blanc et de l’eau. Ils nous demandaient si nous étions des parachutistes. Quoique cela soit faux, nous leur répondions oui. C’est le général FRANQUI qui nous avait fait porter le béret rouge, sans avoir été brevetées. Et puis en octobre 1954, je suis rentrée d’Indochine. Après un congé de fin de campagne de trois mois, j’ai été affectée en Algérie, à la 191ème SEP de Philippeville. |