Chapitre 7: TÉMOIGNAGES

 

Témoignages d'Indochine.

 
  • Paulette POUECH-ALBERGE.
Après les stages de Margival et de Montauban, avec cinq autres plieuses, nous avons embarqué, en juin 1950, pour l’Indochine à bord d’un avion de la compagnie TAI (Transports Aériens Intercontinentaux). C’était mon premier voyage dans les airs. Il a duré cinq jours, entrecoupé d’escales plus ou moins longues : Marseille, Tunis, Le Caire, Calcutta, Bangkok et Saigon aéroport de Tan Son Nhut . Au Caire, nous avons visité les pyramides, côtoyé les vaches sacrées qui sont très maigres et grâce à l’équipage de l’avion, nous avons assisté à l’incinération d’un membre d’une famille très riche entouré de pleureuses et à la dispersion des cendres dans le Nil. En attendant notre transfert vers Hanoi, nous avons séjourné au camp Pétrusky qui était un centre de triage.
À Hanoi, nous logions dans une pagode désaffectée. Pour tout mobilier il y avait cinq lits « picots » avec moustiquaires et en guise d’armoire une caisse à parachutes, vide, pour ranger notre paquetage. L’établissement de pliage était juste à côté. Il n’y avait pas de douche. Dans le jardin, dans lequel se trouvait la pagode, il y avait une prise d’eau et une grande jarre pour nous laver. Au bout d’un certain temps, nous avons déménagé dans une villa réquisitionnée. Nous étions à deux par pièce. Finalement, nous avons échoué dans un établissement tenu par des religieuses qui nous laissaient toute liberté dès l’instant que nous respections certaines règles.
Nous avons été prises en main par les anciennes et avons commencé le pliage. J’ai aimé le pliage. Je ne trouvais pas cela monotone. Chaque parachute plié était attribué à un parachutiste qui ne savait pas qui l’avait plié.
Puis l’atelier de pliage s’est replié sur Bac Mai, le terrain d’aviation d’Hanoi, sous des tôles. C’est là que j’ai connu l’ADJ Georges ARBRE, très estimé de ses personnels. Nous étions environ une centaine de plieuses. Je me rappelle du grand tableau, dans la salle de pliage, sur lequel était mentionné le nombre de parachutes à plier pour telle ou telle opération : Dominique,…, Dien Bien Phu.
Pour les opérations sur Dien Bien Phu, nous plions nuit et jour. Nous tenions le coup, grâce au maxiton. Et puis un jour, il n’ y a plus eu ni de parachutes, ni de parachutistes qui revenaient. Les gars avaient été fait prisonniers ou étaient morts. Parmi eux, j’avais beaucoup de copains, plus jeunes que moi. Je n’en ai revu aucun, car mon rapatriement sur la métropole a eu lieu le 13 juillet 1954.
 
  • Augusta MAROT.
Nous sommes parties de Marseille le 22 avril 1950. Pendant la traversée, nous avions sympathisé avec les serveurs, ce qui nous a permis d’améliorer largement les repas. Nous avons fait escale à Aden et à Colombo. En mer nous avons croisé des petits bateaux à vapeur, dont les équipages étaient les trois-quarts du temps des Africains. Il fallait voir comment ils étaient traités. Ils étaient tabassés, on aurait dit des négriers : c’était révoltant. Et après trente trois jours de traversée plutôt calme, nous sommes arrivées au Cap Saint Jacques, puis Saigon. Là nous y sommes restées deux ou trois jours. Puis ce fut l’envol vers Hanoi. La durée du séjour était de dix huit mois prolongés de six mois. Comme nous n’avions pas de statut, nos engagements allaient de six mois en six mois.
Nous avons été affectées à la Base Aéroportée Nord (BAPN). Au début, nous travaillions à Pasteur en face de l’hôpital. Notre chef de section de pliage était le lieutenant CLOAREC. Je l’avais déjà croisé à Idron. À l’époque, il était tout jeune sergent sortant des écoles d’enfants de troupe. Puis l’activité augmentant ainsi que le nombre de plieuses, nous sommes « montées » à Bach Mai, l’aéroport d’Hanoi.

Nous pliions les parachutes à personnels (dorsaux et ventraux) et les parachutes à matériels pour les petits colis. Les gros parachutes de charge, de type PL 12, étaient pliés par les hommes. Il nous arrivait, des fois, de trouver des « morceaux de viande » collés à la voile. En effet les parachutes servaient aussi de linceul ! 
La salle de pliage se trouvait dans des hangars en tôle. Une année on a eu jusqu’à 75°C, en une seule journée. Pour toute tenue de travail, nous portions la blouse par-dessus le slip et le soutien-gorge. Tellement nous transpirions, que nous avions l’impression d’uriner à notre poste de travail ! Les conditions de travail étaient très dures. Il y avait une tour de séchage.
En arrivant, j’ai retrouvé des filles qui étaient avec moi à PAU. Nous étions une centaine de plieuses. Quand il y avait un coup dur, nous recevions le renfort des filles de la Base Aéroportée Sud de Saigon. Le pliage se faisait par deux. Du fait de mon ancienneté au pliage à Pau, j’ai été très vite nommée surveillante. J’étais responsable de trois tables et je m’assurais, entre autre, que les nœuds et liaisons étaient correctement réalisés.
Le déroulement de la journée était lié au rythme des opérations. Contrairement à ce qu’on a connu par la suite en Algérie, les opérations étaient planifiées. Il nous arrivait de réparer le jour et de plier la nuit et vice-versa. Le matin, en arrivant dans la salle, on avait le rendement de la journée en bout de table. Le chef-major ARBRE (alias coco), avait tout calculé avant notre arrivée. Nous avions une pause à 9 h. Nous allions, au mess, prendre un sandwich et un verre de rosé. Nous nous arrêtions à midi et reprenions à 14 h, sans avoir la possibilité de faire la sieste.
Dans les périodes de repos, nous en profitions. Nous allions au cinéma, au bal. Il m’est même arrivé de croiser le général SALAN ( à l’époque adjoint au haut-commissaire en Indochine) dans un dancing. Mais je n’ai jamais dansé avec lui! Entre filles, nous nous entendions bien. Il y avait bien la chef de cantonnement qui était un peu pinailleuse. Certaines fois elle nous interdisait de sortir. Alors nous usions de ruses pour « faire le mur »!
Nous logions chez les bonnes sœurs, mais nous n’avions aucun contact avec elles. Le matin un car de marque « Chausson » venait nous chercher tôt le matin. A moitié endormies, nous embarquions et nous nous habillions dans le car. Nous avions baptisé le chauffeur « Chaussinet » et nous lui disions : « Chaussinet, ne regardes pas, on se change ! ».
Pour Dien Bien Phu, nous avons plié pendant quatre mois, nuit et jour. Nous « marchions » au café fort et au maxiton (médicament employé comme excitant des facultés intellectuelles.). Quand ce n’était pas suffisant, nous avions droit à l’intraveineuse. Dans ce cas il fallait rester allonger une demi-heure. Une fois, pour faire l’andouille, j’ai voulu me lever tout de suite après l’injection. Bien mal m’en a pris, je suis tombée par terre très lourdement. En guise d’aide l’infirmière m’a apostrophé d’un : « c’est bien fait pour toi » et après avoir repris mes esprits je suis repartie au pliage. Les « paras » nous attendaient en bout de table pour prendre leur parachute et s’équiper. Certains n’avaient jamais sauté, ce serait leur premier saut et peut être le dernier. Quand Dien Bien Phu est tombée, nous avons toutes pleuré.
Après Dien Bien Phu, nous avons été évacuées sur Tourane (appelé de nos jours Da Nang, port du centre Vietnam). Je me suis portée volontaire pour accueillir les prisonniers qui étaient libérées des camps. Nous étions trois ou quatre a effectuer cette mission en plus de notre travail de pliage. Nous nous m’occupions des sous-officiers et des soldats. La monnaie d’échange était simple. Pour récupérer cent de nos gars, il fallait donner mille Vietnamiens!
À l’approche des prisonniers, on avait la consigne de ne pas faire un geste, même de reconnaissance ! Et pourtant, j’en reconnaissais certains qui étaient avec moi à Pau. Quand j’ai vu les premiers qui ont embarqué, je me suis mise à pleurer : ils n’étaient pas beau à voir. Les gars avaient la dysenterie. Nous disposions d’une bassine d’eau tiède, d’une éponge et comme pour les bébés nous les déculottions, les nettoyions et les rhabillions.
Nous  les faisions monter à bord des LCT (bateau de débarquement et de transport). Là nous leur donnions une purée, une tranche de jambon blanc et de l’eau. Ils nous demandaient si nous étions des parachutistes. Quoique cela soit faux, nous leur répondions oui. C’est le général FRANQUI qui nous avait fait porter le béret rouge, sans avoir été brevetées.
Et puis en octobre 1954, je suis rentrée d’Indochine. Après un congé de fin de campagne de trois mois, j’ai été affectée en Algérie, à la 191ème SEP de Philippeville.
  • Photos transmises par Augusta MAROT.
Sur le S/S Chantilly avec « canard », pendant la traversée.
Les plieuses de Bach Mai.
En attendant la visite du général de Lattre de Tassigny, devant le cantonnement.
Diplôme de la médaille d'honneur du mérite vietnamien.
À lire, ici>>, la suite de son témoignage sur son séjour en Algérie.
 
  • Alice GUICHARD.
Je suis partie le 9 juin 1952 en avion à destination de l’ Indochine où j’ai atterri le 13 juin à Saigon. Et c’est parti pour un premier séjour de 30 mois. J’étais affectée à la Base Aéroportée Nord à Hanoi, en tant que plieuse de parachutes. Nous étions hébergées chez des bonnes sœurs à Jeanne d’Arc et nous travaillions à Bach Mai un aéroport d’Hanoi.
Au début, c’étaient les hommes qui pliaient les parachutes. Au fur et à mesure que le conflit augmentait, les hommes ont été remplacés par des femmes. Les premières arrivées en Indochine n’étaient que cinq. Parmi elles, il y avait Yvette VALLINO, Madeleine MARIE. Elles logeaient sous tentes à côté de l’hôpital. Une rivalité légitime s’était instaurée entre hommes et femmes (les femmes prenaient le travail des hommes !), mais cela n’a pas duré. Cependant, on peut dire qu’elles en ont « bavé ». Madeleine MARIE, avec qui j’étais bien copine, m’a rapporté que pour partir en Indochine, elles n’embarquaient pas de France mais de Belgique !
Le travail était organisé de la façon suivante. Pour plier les dorsaux nous étions trois filles par table et deux pour les ventraux. En général, quand ils étaient présents, c’étaient des masculins qui assuraient la fermeture des ventraux et des dorsaux. Un de nos couseurs préférés, c’était un certain MALACHE.Un caporal-chef surveillait quatre tables. Il contrôlait si les parachutes étaient bien fermés et naturellement, bien pliés. Si, pour une raison quelconque, la tête d’une fille ne lui revenait pas, il coupait les drisses de fermeture et la fille devait recommencer. Parfois c’était très tendu ! les femmes n’avaient pas de responsabilités de contrôle, sauf quand ces derniers étaient malades ou en mission. C’est pour cette raison que certaines étaient appelées « surveillantes », comme MAROT, GUYOMARCH. D’autres, comme Suzanne CAILLET et DESCHAMPS, étaient spécialisées dans les parachutes à ouverture commandée. Nous étions environ une centaine de plieuses sous les ordres du chef de salle qui était le chef major ARBRE.
On pliait de jour comme de nuit. On s’arrêtait de plier, uniquement lorsque les parachutes étaient trop humides. La journée était consacré pour le pliage des parachutes à personnels et la nuit pour les parachutes à matériels. Sur ces derniers on cousait des pétards à retardement sur les voiles.
Le soir , après le travail et lorsque c’était calme, les plieuses apprenaient aux couturières à plier et elles, elles nous apprenaient la réparation. Le but c’était aussi de s’entraîner en vue de se préparer à l’Echelle 3. C’était l’adjudant FAURE qui commandait les réparatrices : elles l’appelaient « p’tit Louis » !
Les gros parachutes de charge (du type PL 12) étaient pliés par les hommes, sur les tables de pliage des aviateurs avec lesquels nous partagions le même hangar. Les aviateurs pliaient eux-mêmes leurs parachutes de sauvetage.
À Hanoi, l’ambiance était bonne. Il n’ y avait pas de clan. L’après-midi, quand c’était calme, on avait l’autorisation de se mettre en tenue civile pour faire nos courses. On avait une heure de libre. Il n’y avait pas de zizanies entre hommes et femmes au sein de la même unité.
Le midi, quand notre emploi du temps le permettait, nous allions à l’hôpital, visiter les blessés. Je prenais toujours le même cyclopousse pour m’emmener, car il y avait au moins cinq kilomètres à parcourir pour rejoindre l’hôpital. Je leur amenais le courrier et de temps en temps, je m’arrêtais dans un petit restaurant pour leur récupérer un quart de poulet frit : ils adoraient. Je faisais du bénévolat pour les blessés en plus de mon travail de plieuse.
La durée du contrat en Indochine était fixée à deux ans, seulement avec Paulette, nous avons demandé une rallonge de six mois qui nous a été accordée. À l’issue du séjour, nous bénéficions d’un congé de fin de campagne, que je n’ai pas mené à termes, puisque je suis repartie en Indochine trois semaines avant la fin de mon congé.
La Base Aéroportée Nord ayant été dissoute le 31 décembre 1954, j’ai été affectée le 31 mai 1955 à la Base Aéroportée d’Extrême Orient (BAPEO) qui était la nouvelle appellation de la Base Aéroportée Sud à compté du 1er janvier 1955. Au cours du deuxième séjour c’était beaucoup plus calme. Dien Bien Phu était tombé. Nous étions à 7 kilomètres de Saigon, sur l’aérodrome de Tan Son Nhut. Le matin nous faisions du pliage pour l’entraînement et l’après-midi nous profitions de la mer. Il m’étais arrivée aussi d’aller sur les zones de largage pour récupérer des parachutes.
Il est à noter qu’en Indochine, je portais le béret rouge sans être breveté. J’avais fait la demande pour me faire breveter au STUP d’Hanoi. Mon patron de l’époque, si je me souviens c’était le lieutenant CLOAREC, m’a répondu : « vous êtes venues pour travailler, pas pour vous faire breveter ! ». Quand j’ai demandé en 1966, on m’a répondu que j’étais trop vieille (41 ans !). Par contre à Montauban et en Algérie, je portais le béret noir avec l’insigne du Matériel.
J’ai terminé ce deuxième séjour le 6 avril 1956. Après mon congé de fin de campagne, le 21 mai 1956, j’ai fait un court séjour à Montauban pour y effectuer un stage de couture, avant d’être affectée à la 191ème SEP de Philippeville , en Algérie.
  • Photos transmises par Alice GUICHARD.
Avec ma copine Paulette ROY Salle de pliage à Tan Son Nhut.
  • À lire, ici>>,la suite de son témoignage sur son séjour en Algérie.



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