Chapitre 6: LES FÉMININES DE LA SPÉCIALITÉ DES MATÉRIELS DE PARACHUTAGE ET DE LARGAGE

 

Témoignages de personnels militaires féminins de l'Armée de Terre (PMFAT).

 
  • Témoignage de Anna SIBOT épouse VERNER (Coin's 356).
Je suis rentrée dans l’armée parce que je considérais l’armée comme une grande famille. Tout part de mon passage aux EMSI (Equipes médico-sociales itinérantes, cliquer sur le sigle pour en savoir plus) en Algérie.
Mon passage aux EMSI.
Mes parents étaient adorables, mais d’un milieu très pauvre. J’ai commencé à travailler dès l’âge de dix ans. Mon grand-père paternel était Français. Il est parti en Algérie comme garde forestier. Ma grand-mère paternelle était espagnole, elle est née en 1880 sur le bateau qui l’emmenait en Algérie. Nous étions quatre enfants, deux filles et deux garçons : j’étais l’aînée. J’ai passé mon certificat d’études primaires et j’ai quitté l’école, j’avais seize ans. Nous étions neuf personnes à vivre sous le même toit dont trois infirmes (ma grand-mère, ma tante et une cousine). Comme j’étais soutien de famille, il fallait que je travaille. J’ai fait apprentie vendeuse dans une papeterie, apprentie vendeuse dans une épicerie, femme de ménage et j’ai travaillé dans un restaurant. Je n’avais pas le choix.
Un jour mon père a reçu la visite d’un copain qui était militaire. Ce dernier lui a demandé si je n’étais pas intéressée pour travailler dans l’armée. Mon père lui a répondu : « je ne sais pas, demandes lui ». J’ai toujours décidé de ce que j’allais faire, mon père ne m’a jamais rien imposé quoi que ce soit.  La seule chose qu’il m’a dit « ma fille ne ramène jamais un bébé à la maison ! ».
En 1960, comme je parlais couramment l’arabe et que l’Armée recrutait des interprètes, je me suis présentée au bureau de l’État-Major à Tiaret et j’ai signé un contrat de deux ans chez les EMSI en qualité d’ASSRA (assistante sanitaire sociale rurale auxiliaire) : j’avais 17 ans.

Quand nous nous déplacions dans le bled, nous avions une escorte militaire de quatre soldats. Ce jour-là, j’étais toute seule avec l’escorte et nous sommes tombés dans une embuscade. Les soldats ont sauté de la jeep et je me suis retrouvée seule. Le véhicule continuait sa route dans un oued. Bien que je ne sache pas conduire, j’ai quand même ramené le véhicule au poste. Je ne me souviens pas avoir eu peur, j’ai foncé sans savoir ce qui allait m’arriver et je m’en suis tirée saine et sauve.
Lorsque je suis arrivée au poste, le commandant a demandé : « qui est-ce qui pourrait nous amener sur les lieux de l’accrochage ? ».
Je m’avance et je dis : « moi, commandant! ».
Il me regarde de toute sa hauteur et me dit : « mais mademoiselle vous êtes fatiguée, allez vous reposer !».
J’ai répondu : « c’est vous qui êtes fatigué, commandant ! Si je vous dis que je peux vous amener… ».
Nous sommes retourné sur le lieu de l’accrochage. Il y avait un fellagha de tué et un blessé parmi les soldats de l’escorte.
Suite à cet accrochage, j’ai reçu la croix de la Valeur Militaire avec étoile de bronze. 
Un soir vers minuit j’étais au poste. Un Arabe vient frapper au portail. La sentinelle lui demande ce qu’il voulait. Il lui répond : « y’a ma femme qui est en train d’accoucher ! Est-ce que je peux avoir l’infirmière ? » Je suis partie en jeep avec le chauffeur, et deux soldats d’escorte. Nous sommes allés chercher la femme et nous l’avons mise sur un brancard en travers de la jeep pour la ramener à l’hôpital. C’était un petit hôpital d’une vingtaine de lits. Le médecin-chef, qui était un militaire m’a dit : « comme l’infirmière est occupée ailleurs, vous allez m’aider… » C’était la première fois que je voyais un accouchement. Je suis tombée deux fois dans les pommes. Puis je me suis ressaisie, et j’ai tenu le coup….
Un autre soir, nous étions à table, au poste, les gars discutaient entre eux et disaient : « 
on va aller à la chasse aux « calandres[1] ». Moi, comme je suis toujours curieuse, je veux toujours tout savoir, je leur dis : « je viens avec vous ! ». Ils rétorquèrent « ah non, pas question, les femmes ne viennent pas avec nous ». Le soir, je suis sortie avant eux, je me suis cachée sous la roue de secours de la jeep et nous sommes ainsi partis à la chasse : mais ils n’avaient pas vu que j’étais là. Arrivés à destination, ils descendirent de la jeep. Au bout d’un moment j’ai mis le moteur en route. J’aurais pu me faire tuer, car ils ont cru que c’était un fellagha qui volait le véhicule ! J’ai entendu un coup de feu. J’ai poussé un cri et j’ai dit : « ne tirez pas, c’est moi ! ». Et le lendemain je me suis ramassé une « engueulée » par le capitaine, quelque chose que je n’oublierais jamais !
Une fois j’ai frappé un lieutenant. J’arrivais de ma tournée, je m’installais au mess et j’étais tellement fatiguée que je ne faisais pas attention à ce qu’on me disait. J’étais à ma place, j’avais mal aux pieds, j’ai défait ma chaussure sous la table. Il y avait un lieutenant qui chaque fois que je mangeais au mess se mettait en face de moi pour me faire tomber. Je lui avais dit plusieurs fois: « foutez-moi la paix, laissez-moi tranquille, je suis fatiguée ! ». Ce jour-là, j’étais plus énervée que d’habitude, je suis partie. Il a pris ma chaussure, il a mis du vin dedans. La colère m’a pris, j’ai pris ma cuillère à soupe et je lui ai mis dans la figure. Ma copine m’a dit: « tu vas avoir des arrêts ! ». Je lui ai répondu : « on va voir si je vais avoir des arrêts! ». Comme j’étais civile je ne craignais rien et du coup il n’a plus recommencé.
Quand il y a eu l’indépendance, le chef m’a convoqué et m’a dit : « vous allez faire un stage d’aide-soignante et après vous serez mutée dans le cadre de l’AMG (Assistance Médicale Gratuite), dans un village… ». J’ai donc dit d’accord, j’ai fait mon stage, j’ai été  reçu au stage et j’ai été mutée dans le petit village de Diderot. Avant de partir ils m’ont dit vous serez sous la tutelle du 31ème GCP (Groupe de Chasseurs à Pied). Quand je suis arrivée au village, ce n’était plus le 31ème GCP qui était en place, mais le FLN. Toute seule je me suis présentée avec mon ordre de mission. Dans le village il n’y avait que quatre Français, j’ai travaillé en côtoyant le FLN. L’infirmerie se trouvait au milieu du cantonnement du FLN. Les EMSI avaient été « livrées » à l’administration civile. J’ai travaillé pendant trois semaines et au bout de ces trois semaines j’ai dit que je ne pouvais plus rester là, que je voulais partir.
Un soir, à minuit, le chef de poste (un FLN) est venu me chercher parce qu’il avait un gars qui était malade. J’avais la peur au ventre parce qu’ils auraient pu me violer, me tuer. J’y suis allée, je l’ai soigné, je lui ai donné des médicaments et je suis retourné à l’infirmerie. Le médecin arabe voulait me prendre dans son harem. C’est pour cette raison que je n’étais pas bien. La nuit je ne dormais pas.
Je suis allée voir le secrétaire de mairie, je lui en ai parlé, il m’a dit : « partez maintenant, laissez vos affaires pour ne pas éveiller les soupçons et tâchez de vous faire rapatrier ». J’étais un peu déroutée, car je ne m’attendais pas à cela. En effet, quand j’ai passé l’examen, je ne voulais pas rentrer en France, je voulais rester avec ma famille. Comme ce n’était plus tenable, je l’ai quand même écouté, il m’a payé le mois complet et je suis partie à la ville où habitaient mes parents, à Tiaret. Arrivée à Tiaret, je suis allée voir le curé car il n’y avait que lui qui pouvait me renseigner. Je lui ai dit : « voilà ce qui se passe, je ne me sens pas bien, j’ai travaillé avec l’armée Française, mais maintenant c’est le FLN, je ne peux pas rester ! ». Alors il m’a dit : « quand est-ce que tu veux partir ? Le plus tôt serait le mieux ! Et ce soir cela te va ? » J’ai dit oui. Le soir même, les militaires sont venus nous chercher, ils nous ont hébergés dans leur cantonnement et le lendemain nous sommes tous partis sur Oran pour embarquer. Les trois infirmes sont partis en rapatriement sanitaire, et nous six dans un camion bâché. Nous avons voyagé à fond de cale.
Quand nous sommes arrivés en France nous avons passé deux nuits à Port-Vendres sur le trottoir, six à Toulouse et deux ou trois nuits à Poitiers. Là nous avons été dirigés dans un petit village qui s’appelle Bonnes. Dans ce village, un jeune homme d’une vingtaine d’années nous a vus arriver et nous a aidés. C’est le receveur de la poste qui a pris le relais et qui s’est occupé de nous. Nous nous sommes fait apprécier parce que nous ne refusions pas de travailler. Une fois une voisine s’était cassé le bras. Je l’ai aidé à faire sa toilette, à nettoyer l’étable, à conduire les vaches au pré. J’ai tourné, viré un petit peu pour trouver un emploi, mais je ne trouvais rien. Comme je ne trouvais rien dans la branche d’aide-soignante, je suis partie dans l’Est chez une tante.
Arrivée chez ma tante, le jour même, j’ai fait six demandes pour travailler dans les hôpitaux et cliniques. J’ai reçu une seule réponse, qui consistait à faire un remplacement dans une clinique. J’y suis allée et j’y ai travaillé pendant trois mois. Dans cette clinique, j’ai soigné un sergent-chef et je lui ai demandé ce qu’il fallait faire pour s’engager dans l’armée, parce que mon passage chez les EMSI m’avait beaucoup plu. Je voulais repartir dans les pays sous-développés. Quand je me suis engagée, j’ai bien précisé que je voulais passer le diplôme d’infirmière. Je suis allée au bureau de recrutement ils m’ont dit que pour l’instant ils ne recrutaient pas d’aides-soignantes, mais qu’ils pouvaient me prendre, quand même dans le service du Matériel et qu’il y avait des infirmeries. Alors moi j’y ai cru ! Quand je suis arrivée à Montauban, j’ai vu l’infirmerie, je me suis dit : « chouette, je vais être bien là ! ». Manque de pot, on m’a envoyé à l’instruction pour un passer un test de couture. Le gradé qui m’a reçu m’a demandé de faire des piqûres à 2 mm du bord, espacées de 1 cm entre chaque. La colère m’a pris et j’ai balancé le morceau de tissu.. Je me suis ressaisie, j’ai réfléchi et comme j’avais besoin de travailler, parce que j’étais soutien de famille, j’ai décidé de rester à Montauban. Je suis donc arrivée le 26 mai 1964 et j’ai fait 18 ans et demi d’armée.
Ma carrière militaire.
Je me suis engagée le 31 mars 1964 et j’ai fait mes classes à l’EPFAT (École du Personnel Féminin) de Dieppe. La formation était formidable que ce soit sur le plan militaire, sur les connaissances qu’on nous a inculquées, sur la convivialité entre filles, bien que des fois il y en avait qui étaient bizarres : Une fois nous étions en prise d’armes, pendant la cérémonie des couleurs, tout le monde était au garde-à-vous, quand tout à coup une fille s’est écriée « oh ! mon Dieu, un homme ! » parce qu’il traversait la cour de la caserne. Je retiens surtout l’accueil chaleureux. Andrée MANGIAPAN et Francette DUVAL ont fait leurs classes en même temps que moi. 
Lorsqu’on a eu l’autorisation de pratiquer le parachutisme à titre militaire en 1965, j’ai fait partie des dix filles qui avaient postulé pour sauter en parachute, mais mon mari n’a pas souhaité que je passe le brevet parachutiste. Il m’a dit : « s’il t’arrive un accident, tu n’auras aucun recours, personne ne s’occupera de toi, réfléchi à deux fois : moi je tiens à toi, je ne voudrais pas que tu sautes en parachute ». Cela m’a fait un peu drôle, mais bon je l’ai écouté. Il est vrai que c’est une expérience que j’ai manquée, mais je ne le regrette pas. 
À l’Aéro, j’ai travaillé à tous les postes : les voiles à personnels, les voiles à matériels (G11, PL12), la sellerie. À l’ALAT, j’ai travaillé au PTV des appros. 
Mon plus mauvais souvenir de l’atelier, c’était le rendement. Je suis revenue plusieurs fois le samedi pour le finir. 
J’ai été mutée deux ans à Versailles au SCA. Je n’avais jamais fait de la comptabilité. Pendant une semaine j’ai enregistré des factures, parce que c’était le début et après je me suis occupée de la comptabilité des chars AMX13 et AMX 30. J’ai même fait l’assistante sociale pour une personne qui travaillait avec moi. Elle avait un caractère tellement dur avec les gens que personne ne voulait s’occuper d’elle : elle était malade. Un jour le commandant m’a dit : « vous ne voudriez pas vous occuper de madame …» Je lui ai répondu : « oui pourquoi pas ! ». Et pourtant nous nous étions prises la tête toute les deux. Mais je l’avais remise à sa place et moi j’étais restée à la mienne. Maintenant je pouvais m’occuper d’elle. Au bout de deux ans au SCA et j’ai été re-mutée à Montauban. 
Avant que je ne prenne la retraite, on m’avait mis chef d’équipe responsable d’une chaîne de réparation. Pour soulager les filles qui ne faisaient pas le rendement, je leur faisais un parachute et après je les faisais pointer. Un jour, une fille que j’avais aidée, m’a critiqué. Ça, je ne l’ai pas encaissé. Moi je le faisais pour rendre service et elle par-derrière, elle ne se gênait pas pour me dénigrer.
En décembre 1981, à ma demande (pour raison de santé), j’ai pris la retraite après 18 ans et 6 mois de service. 
Je retiens de très bons souvenirs des personnels militaires et civils, des cérémonies militaires, des repas dansants de la Saint Éloi et de la Saint-Michel, ainsi que les rallyes sportifs, courses d’orientation et méchouis dans la forêt de Montech.
Je ne regrette pas d’avoir fait cette carrière et si c’était à refaire, je le referais : Un immense merci à cette grande famille des MATPARAS qui m’a permis de réussir ma carrière militaire et professionnelle.
Photos des EMSI transmises par Anna VERNER.
 
[1] Les calandres sont des espèces d’alouettes, appelées aussi ortolans, vivant dans les pays méditerranéens tempérés chauds. La chasse se pratique de nuit avec un sac, une cloche, et des lampes. Il faut faire sonner la cloche, afin que l'oiseau endormi dans les chaumes n’entende pas le pas du chasseur et éclairer le sol avec les lampes. On les trouve recroquevillés les uns contre les autres. Il n’y a plus qu'à se baisser pour les ramasser et les mettre dans le sac.

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