Native de Philippeville en Algérie et résidente dans la même ville, je travaillais à cette époque chez un maître tailleur. La boutique se trouvait à l’Arsenal, toute proche de la S.E.P. (section d’entretien des parachutes). J’y ai appris à faire différentes opérations de couture sur les effets des militaires de la garnison et comme j’étais la plus ancienne, je tenais la boutique. C’est comme cela que j’ai fait la connaissance du capitaine DIE, qui commandait à cette époque la SEP. J’avais eu un différent avec mon patron et une amie m’avait dit que les militaires cherchaient à engager des mécaniciennes en confection. Aussi un samedi matin, j’ai osé me présenter à la SEP. Je fus accueillie par le capitaine DIE. Il m’a expliqué le travail et les formalités d’embauche. Il fallait passer un examen qui se composait d’une partie écrite (dictée, calculs) et d’ exercices pratiques à la machine à coudre. Les conditions de travail seraient inchangées à celles que je pratiquais chez le maître tailleur : mêmes horaires de travail, repas du midi et logement chez moi. Le capitaine voulait recruter des filles « du cru », pour ne pas avoir de problèmes d’hébergement. Pour s’engager, il fallait se rendre à Constantine (distante de 60 kilomètres) pour signer le contrat. Cela me faisait hésiter, d’autant plus que mes parents n’étaient pas au courant de mes intentions et que le « poids » de la famille pesait énormément sur nos jeunes épaules. Un autre fait m’avait jeté le trouble. Un jour, j’ai croisé une PFAT (native de France) qui revenait d’Indochine. Je lui ai posé la question suivante : « j’ai une amie qui voudrait s’engager. Qu’est-ce que vous lui conseilleriez ? ». Sa réponse fut sans ambiguïté : « écoutez mademoiselle, dites à votre amie, que pour s’engager il faut avoir tué père et mère… ». Tout a été remis en cause et pendant deux ans j’ai continué à travailler chez le maître tailleur. Finalement, passé ce temps, je me suis décidé malgré la mauvaise réputation qu’avait les filles et je me suis engagée le 10 décembre 1952 à la SEP. Nous étions sept filles, natives de Philippeville, et une dizaine « d’anciennes » qui revenaient d’Indochine. Parmi elles, il y avait : GESTIN, RUNAVOT, GUICHARD, MAROT, PONNEL, MOTTI, RAGANI, CALONETTE, BEZARD et CONTENET. Le chef d’atelier était l’ACH DENIS. Nous faisions des travaux de réparation de parachutes, ainsi qu’occasionnellement du pliage. Nous avions été formées sur place au pliage des parachutes. En ce qui concerne la partie militaire, on nous apprenait quelques rudiments de discipline générale. C’est en 1955, que j’ai été désignée pour suivre une formation militaire plus approfondie, à l’Ecole des Personnels Féminin de l’Armée de Terre à Dieppe. La formation à Dieppe a duré un mois. Pendant cette période, nous avons appris à marcher au pas, à saluer, à se présenter. Nous apprenions aussi les règles de vie en communauté, un peu de service en campagne (sans armement !) et nous faisions du sport. Ce n’était pas très dur. Nous étions logées en chambre de quatre. Ce qui me pesait le plus, c’était l’éloignement de mon Algérie natale et de ma famille. A l’issue de cette formation, nous bénéficions d’une permission de quelques jours que j’ai passé chez de la famille à Marseille. Nous étions un peu coupées des réalités du « pays » et ce n’est qu’en allant chercher mon bon de transport, à l’intendance pour le retour, que j’ai été mise au courant des « évènements » qui se déroulaient en Algérie. J’ai finalement regagné Philippeville le 21 août 1955. J’ai repris le travail à la SEP. Nous montions de temps en temps la garde de nuit, dans l’enceinte de l’Arsenal, avec pour tout armement un gourdin. Nous n’étions pas fières, d’autant plus que les évènements se précisaient. Lorsque le risque était trop important, nous étions consignées au quartier, où nous disposions d’une chambre pour deux, pour passer la nuit. Il nous arrivait, aussi, de plier la nuit. Plier un parachute, ce n’était pas compliqué, c’était plutôt physique. Le plus difficile, c’était de faire la fermeture du parachute. Pour ce faire, nous demandions l’aide des masculins. Nous pliions les parachutes à personnels de type 660, les ventraux et aussi les parachutes pour les charges, les AMR. Pendant mon séjour, je n’ai connu qu’un seul accident mortel de parachutage. A cette époque nous pliions intensément de jour comme de nuit. Les parachutes n’avaient pas le temps de sécher, il fallait assurer le rendement. Un parachutiste a eu un problème de « torche » (voilure collée) et n’a pas mis en œuvre son ventral. C’est le commandant LEON qui est venu faire l’enquête d’accident. Il nous a réuni et nous a passé « un savon ». Le capitaine DIE nous a défendu, en lui affirmant que nous n’avions fait qu’exécuter les ordres. Le commandant s’est excusé et on n’ en a plus jamais entendu parler. À Philippeville l’ambiance de travail était bonne. Certes, il y avait un peu de tiraillement entre nous, qui étions nées en Algérie, et celles qui venaient de France. Ce qui faisait la grosse différence, c’est le fait qu’elles vivaient ensemble en cantonnement et que nous, le soir, nous rentrions chez nous. La famille, pour nous était omniprésente, surtout les frères. Elles avaient l’impression qu’on les mettait à part. Le matin nous commencions le travail à 7 h. Nous bénéficions d’une pose à 8h et nous nous retrouvions dans notre petit bar, exactement comme à l’Arsenal de Montauban, quelques années plus tard. Le capitaine DIE était un chef sévère, mais droit. Il a été remplacé par le lieutenant MORENVAL. C’est lui qui a assuré la dissolution de la SEP. Nous avons été mutées à Alger, au « Ruisseau », où nous avons grossi les rangs de ce qui allait devenir, plus tard, la 191ème CMRP. Là, nous ne faisions que de la réparation. |