Chapitre 6: LES FÉMININES DE LA SPÉCIALITÉ DES MATÉRIELS DE PARACHUTAGE ET DE LARGAGE

 

Témoignages de personnels militaires féminins de l'Armée de Terre (PMFAT).

 
  • Témoignage de Evelyne BRUNET épouse DERRUA.
Je me suis mariée en 1947. Mon mari est tombé malade. Cela a duré pendant plus d’un an. Il nous fallait donc de l’argent pour vivre. Le seul emploi que j’ai trouvé sur Montauban, c’était l’Arsenal. Je n’étais pas couturière de métier, puisque avant mon mariage, j’aidais mes parents à la ferme. Je n’avais que le certificat d’études primaire. Cependant, comme toutes les jeunes filles de l’époque, je savais coudre et utiliser une machine à coudre. J’ai donc passé les épreuves d’entrée et je suis rentrée en tant que civile en 1948. J’ai certainement eu un peu de piston. Mon beau-frère connaissait bien le commandant RAMAUD qui était l’adjoint du colonel DELBOY, alors patron de l’Arsenal.
Nous étions seize ouvrières, à être embauchées cette année-là. Je me rappelle bien des visages, mais pour les noms, c’est plus difficile. Les personnes qui nous encadraient étaient aussi des personnels civils. La plupart venaient de l’usine de parachutes, AVIOREX, qui se situait boulevard du Moustier.
À l’Arsenal, l’atelier de réparation se trouvait sur la droite en entrant et au fond, en face du cimetière de Montauban. Quelques années plus tard il y aura la salle d’instruction pliage des parachutes. Dans cet atelier, on y faisait la couture et il y avait aussi la sellerie. Je me rappelle que le chef d’atelier s’appelait l’adjudant HEYRALD. 
En entrant dans l’Arsenal, sur la gauche, il y avait les bureaux de la direction et dans le grand bâtiment au centre (celui qui sera, plus tard, l’atelier) on y faisait du pliage, de la visite et du stockage.
Je me suis donc engagée en 1949 sur les conseils de l’ACH BORIE qui était au bureau  des personnels. Pourquoi ? tout simplement parce que j’avais besoin d’argent et aussi parce qu’ils avaient besoin de personnel. Cet adjudant-chef, que je connaissais depuis l’âge de 11 ans, m’avait dit que j’avais tout à y gagner! Lorsque j’en ai parlé à mon chef direct, pour m’encourager, il m’a dit que j’allais en baver!
Nous ne faisions pas de formation militaire. Nous signions notre engagement sur place et, du jour au lendemain, nous étions militaires. Les seules militaires féminines que nous côtoyons, c’étaient celles qui revenaient d’un premier séjour d’Indochine. Pour ma part, j’ai fait toute ma carrière à Montauban. Les départs pour l’Indochine et plus tard pour l’Algérie, ne se faisaient que sur volontariat. Comme j’étais mariée et que mon mari travaillait à la poste, je n’ai jamais voulu partir.
À l’atelier, j’ai occupé tous les postes : la couture, la sellerie, le volant d’atelier, la gestion des parachutes à la mécanographie, la réception des parachutes. J’ai fait aussi du pliage de parachutes, pour le saut. La première nuit, qui a suivi m’a première journée de pliage, j’ai très mal dormi. Je savais que ces parachutes allaient être utilisés à la BETAP de PAU. Malgré tous les contrôles, j’avais peur que mon pliage soit la cause d’un accident mortel. Et puis je m’y suis fait.
À cette époque, seules les filles pliaient et ce sont les masculins qui nous ont appris à plier. On pliait individuellement le parachute. Il fallait travailler dur pour faire le rendement de la journée : on ne nous a jamais fait de cadeaux! À la couture, le rythme était le même : tout était chronométré. Nous étions polyvalentes : un jour au pliage, le lendemain à la réparation, selon les besoins du moment. La journée de travail commençait à 7h (au poste de travail, blouse mise) et se terminait à 18h, avec une pause méridienne de deux heures et ainsi, du lundi au vendredi. Le samedi était consacré au rattrapage, si nous n’avions pas fini le rendement dans la semaine ou si des parachutes avaient été mal réparés. 
L’encadrement de l’époque n’était pas facile. Pour preuve, cette petite anecdote. Un jour que je travaillais sur un parachute qui revenait d’un saut en mer, j’avais du mal à découdre les panneaux pour les réparer. La chef d’équipe, en a tout de suite rendu compte au capitaine que j’étais en retard dans le rendement. Il m’a convoqué dans son bureau et m’a passé « un savon ». Chaque fois que j’essayais de me justifier il criait « taisez-vous! » d’un ton très sec. Je suis retournée à ma machine sans avoir pu m’expliquer. Et le samedi suivant, je suis venu travailler pour rattraper le retard engendré par ce parachute. D’autres chefs, ne supportaient pas que l’on soit assise pour effectuer des petits travaux, bien que le rendement soit fait! De ce passage à la couture, j’en garde un mauvais souvenir.
J’ai fait mon stage de « l’échelle 3 » (ex CT1, ex BSAT) de septembre 1964 à janvier 1965. Là aussi c’était dur. Surtout le soir, à la maison, il fallait apprendre les cours et s’occuper de la famille. Par contre je garde un excellent souvenir de la partie du stage qui se faisait à l’ETAP de Pau. L’ambiance était excellente. J’ai même sauté de la « Brigitte » (Tour de départ), alors que certains masculins faisaient des refus de saut!
Après dix-huit ans et demi de carrière, j’ai quitté l’Armée et j’ai ouvert un commerce, à Montauban, rue Bessières. J’étais contente, la majorité de ma clientèle, c’étaient des personnels de l’Arsenal.
De toutes mes années passées dans la Spécialité, je ne regrette rien. Bien sur, il y a eu des moments difficiles, d’autant qu’à nous les féminines on ne nous laissait rien passer. L’ambiance entre collègues était bonne, pendant et en dehors des heures de service.
  • Photos transmises par Evelyne DERRUA.
Le bureau des carnets de parachutes: chef de bureau, madame de VAUJOUR (au centre), madame GRANY (à droite et madame DERRUA (à gauche).
 
Cliquer sur la photo pour voir l'album.
 
  • Témoignage de Régine TRIBOUT.
Je me suis engagée à 20 ans, le 12 décembre 1966, pour voyager. Dès l’âge de 14 ans je voulais partir. Au début, je voulais rentrer dans la marine, mais comme je n’avais qu’un CAP de repasseuse, ils n’ont pas voulu de moi.
A l’époque, il est vrai que les femmes à bord n’existait pas, ça me revient...Dans les années 50 avec l’école nous étions montées à bord d’un bateau de guerre américain amarré à Saint Jean Cap Ferrat. C’est peut être à ce moment là, que j’ai eu le déclic pour la Marine?
Plusieurs années durant, du haut de la corniche ou de la Promenade des Anglais, j’admirais ces bateaux gris, majestueux, gigantesques, flottant sur cette mer ou au loin, entre la mer et le ciel d’un bleu azur! Dans la ville on croisait les marins Américains. Ils avaient une de ces prestances!
D’après mes souvenirs, ce devait être la Marine Nationale à laquelle que je pensais. Sans jamais avoir de repère dans la vie, toujours éprise de liberté, mais en même temps un ” besoin impérieux d’être encadrée. Souvent avec humour je reprochais à ma mère de m’avoir faite “fille”.
Dommage que je ne crois plus aux contes de fées! Les découvertes du commandant Cousteau me fascinaient. Mais c’est surtout l’immensité de ces étendues d’eau, la magnificence des tempêtes, le tumulte des vagues etc. qui me transportent encore à ce jour : tableaux vivants et réels!
Aussi je n’ai pas eu beaucoup le choix, il ne me restait plus que l’armée de Terre et le Matériel. Je me suis présentée à la subdivision de Nice, d’où je suis native, et j’ai signé un engagement de deux ans. Je suis partie directement à l’Ecole de Dieppe, tout en sachant qu’après quelques mois, je rejoindrais Montauban.
C’était la première fois que je partais si loin de chez moi et j’avoue que je n’avais pas trop le moral. En plus à cette époque les filles qui s’engageaient, n’avaient pas bonne réputation. On les appelait les PPO (paillasses pour officiers). J’ai donc fait mon stage de formation initiale, qui a duré environ deux mois, mais j’ai échoué à l’examen final.
À Montauban, j’ai été prise en main par l’ADC SICOT qui me refaisait les cours de Dieppe et là avec une certaine motivation, je suis retournée à Dieppe pour repasser uniquement l’examen. Je l’ai eu.
À Montauban, j’ai fait mon premier stage avec LAUDET Christiane. Nous n’étions que deux. Je logeais au cantonnement à Pomponne. Nous étions dans les petites maisons aménagées en box et là j’ai sympathisé avec Gisèle BRAU, qui avait fait le certificat technique juste avant le mien. Une fois le stage terminé nous sommes arrivés à l’atelier.
Petite anecdote: Un week-end, Gisèle, quelques copains et moi même, avions pris le train pour Paris, au retour en couchette, endormie,”calée”au plus haut, Gisèle me criait «Régine, vite, on est à Montauban »! Le train redémarrait, Gisèle était descendue « vite, saute! »,ce que je faisais, une de ces “gamelle”, roulé-boulé non réglementaire, multiples hématomes, le Chef de gare ayant vu la scène nous “sermonnait”(bien mérité). Fatalité nous étions à Caussade? Rapidement contact avec un chauffeur de taxi, racontions notre mésaventure, il fallait être à l’heure (pas de permission) avec quelques centimes en poche (pas suffisamment)il nous déposait quand même rue du Docteur Labat “pile à l’heure”!
À lire, ici>>, la suite de son témoignage sur son séjour au Tchad au sein du 6° RIAOM.
 
  • Témoignage de Danielle SARDA (Coin's 112).
Depuis ma petite enfance j'étais fascinée par les uniformes, et tout naturellement après mon CAP de couture flou, je voulais rentrer dans l'armée. Mon père, ancien marin, n'était pas d'accord à cause de la réputation des femmes dans l’armée.
La marine ne recrutait pas de femmes à cette époque. Je suis donc allée au bureau de recrutement de l'armée de terre. J'ai été très bien accueillie par une PFAT qui avait déjà plusieurs campagnes à son actif. Elle m'a posé beaucoup de questions et m'a donné tous les renseignements. Vu mon expérience en couture, elle m'a dirigé vers la réparation des parachutes à l'ERGM de Montauban.
J'ai constitué mon dossier. Comme je n'étais pas majeure, mon père devait signer : je l'ai eu à l'usure... Je me suis sentie pousser des ailes : à moi la liberté !
Il m'a fallu attendre 10 mois avant d'être engagée. Finalement, en décembre 1965 je faisais partie de la grande famille.
 
  • Témoignage de Jeanne MIONE (Coin's 205).
J’avais 21 ans quand je me suis engagée, mais je n’avais aucun diplôme et aucune formation de couturière. J’ai voulu faire comme ma sœur qui était rentrée en 1967. Dans un premier temps ils ne voulaient pas me prendre parce que je n’avais pas de formation spécifique. J’ai quand même passé un essai professionnel. Cette année-là, il y avait dix huit postes à pouvoir et naturellement j’étais la dix-neuvième ! J’ai bénéficié du désistement d’une fille qui ne voulait pas faire le rendement et aussi, il faut le dire d’un petit coup de pouce du directeur de l'époque, qui privilégiait les gens du cru. C’est pour cette raison que j’ai signé mon engagement le 26 décembre, alors que les autres l’avaient signé début décembre.
 
  • Témoignage de Marie-France RIEUBERNET épouse CLERY.
« J'aime les étapes qui m'ont fait arriver à ce que je suis ».
Je vous livre un témoignage d’une époque (dans les années autour de 1969) où à l’ERGM, des jeunes femmes en mal de sensations et en quête d’égalité avec le sexe masculin, postulaient pour « mettre en marche » des parachutistes féminines. Nous étions alors des pionnières, et surtout conscientes qu’on ne nous raterait pas. Nous avons donc fait une formation parachutiste exemplaire. Nous avons subi le même entraînement que les hommes, sans complaisance pour notre sexe, soit disant faible. Personnellement, j’étais même étonnée de pouvoir en faire autant. J’avais une condition physique que je qualifierai d’exceptionnelle.
À Pau, on nous appelait les « lionnes ». je me rappelle de petites anecdotes amusantes. Dans cette promotion, nous étions deux à ne pas être très « hautes sur pattes ». Nous étions limites au niveau du poids, en dessous de ce qui était légal. Aussi nous avons dû ruser pour passer au bon poids.
On nous avait vite repéré et nous nous étions retrouvées l’une avec un casque rouge et l’autre avec un casque bleu. On nous appelait les coccinelles. On nous larguait en premier et nous atterrissions les dernières, avec le bénéfice de voir passer tout le monde en nous faisant un petit coucou.
Pour le saut où il fallait ouvrir les deux parachutes, on nous avait dit : « vous deux, hors de question que vous ouvriez les deux parachutes, on ne vous retrouvera plus ! » gros éclats de rire général.
Un autre fois, il y avait énormément de vent et je me rappelle avoir eu peur, le temps d’attendre le verdict pour savoir si nous allions sauter ou non. Logiquement, avec ce que j’entendais autour de moi, nous n’aurions pas dû sauter. Mais…. si, on y est allé. Il faisait chaud. La « trouille » m’a pris au ventre, je me sentais mal, mais hors de question de craquer, nous voulions être parfaites. J’ai relevé les manches de mon treillis et je me suis dit : « on verra bien ! » et je n’ai pas redescendu mes manches. Je n’ai pas vraiment maîtrisé ma direction, ça je l’avais prévu, vu le vent. J’ai atterri dans les thuyas et là, pour rabattre ma voile, j’ai tiré sur les suspentes et vlan ! dans les ronces. Mes bras ressemblaient à deux hérissons blessés. J’ai passé deux heures à l’infirmerie avec un infirmier de chaque côté de moi, pour m’enlever les épines. C’était une épopée !
Comme nous étions dans les premières (5ème promotion de féminines de l’ERGM) à faire cette expérience de parachutisme, les hommes attendaient que nous fassions un faux pas, qu’on capitule, qu’on ait une faille pour se moquer. Pas une seule fois nous nous sommes plaintes : les pompes, les tractions la course à pieds, le parcours du combattant, la « Brigitte », bref, rien ne nous a été épargné.
J’arrivais à faire soixante cinq « pompes », dix tractions, à sauter cinq bancs cote à cote et à tomber en roulé boulé. Mon leitmotiv : « je ferais aussi bien qu’eux, si ce n’est pas mieux ».
Et nous sommes revenues de Pau avec la réputation de « lionnes ». Ce fut une bonne expérience : nous étions très fières.
  • Photos transmises par Marie-France RIEUBERNET.



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